Bénédicte Lesage (ARCOM) : “les médias peuvent renforcer le lien social, bousculer nos croyances”
CB News interroge tout au long du mois les grands acteurs de l’éducation aux médias et à l'information (EMI) à l'occasion de la semaine mondiale de l’EMI qui devait se tenir du 23 au 25 octobre en Jordanie.
Alors que l’événement est décalé en raison de la guerre entre Israël et le Hamas, la série d’échange se poursuit avec Bénédicte Lesage, présidente du groupe de travail "éducation aux médias, transition écologique et santé publique" à l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
CB News : Vous avez rejoint l’Arcom en février 2023 en tant que membre et vous êtes présidente de son groupe de travail "éducation aux médias, transition écologique et santé publique". Quel était votre rapport à l’EMI auparavant ?
Bénédicte Lesage : J’ai travaillé pour des diffuseurs, publics comme privés, et j’ai été productrice. Dans cette autre vie, j’ai également présidé le Syndicat des Producteurs Indépendants. J’ai eu l’occasion d’échanger avec de multiples interlocuteurs sur leur rapport à la création et à la manière dont les médias peuvent renforcer le lien social, bousculer nos croyances. Je retrouve beaucoup de ces réflexions dans les fonctions qui sont les miennes aujourd'hui.
CB News : Que représente la semaine mondiale de l’EMI dans le calendrier de l’Arcom ?
Bénédicte Lesage : La semaine mondiale de l’EMI est une occasion de mettre un coup de projecteur sur toutes nos initiatives. Depuis plusieurs années, nous coopérons avec l’Unesco qui organise cette opération. Nous échangeons actuellement avec eux sur l’opportunité de développer un kit pédagogique sur les enjeux de la transition écologique, et de nouvelles ressources à destination des parents. Comme chaque année, nous allons également nous déplacer dans les écoles, à la rencontre des professeurs et des élèves.
CB News : Quelle est l’actualité de la fin de l’année dans votre groupe de travail ?
Bénédicte Lesage : Parmi nos prochaines actualités, la publication dans le courant du mois de novembre, de notre troisième rapport sur l’éducation aux médias, à l’information et à la citoyenneté numérique. Nous y rendons compte des actions menées par les médias audiovisuels et numériques, mais aussi de l’engagement d’autres acteurs nationaux et internationaux. Le but étant de favoriser le partage de bonnes pratiques. Nous allons également publier, à destination des enseignants de primaire, de nouvelles ressources pédagogiques -construites avec le CLEMI- pour aborder la question des limites de la liberté d’expression et des enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes, dans médias. Nous serons présents pour la première fois au Salon des Maires de France dans le but de connaître les besoins des acteurs locaux. En outre, nous concrétiserons d’ici cette fin d’année et courant 2024, de nouvelles collaborations avec des acteurs majeurs du secteur : les INSPE, Arte Education, le CNNum.
CB News : Vous effectuez également un travail de recensement, d’analyse et de valorisation des actions menées par les médias. Est-ce qu’il y des bons élèves ?
Bénédicte Lesage : Dans notre dernier rapport, paru en novembre 2022, nous avons constaté que les antennes redoublaient d’efforts pour proposer au public de nouvelles thématiques et de nouveaux formats de programmes. L’environnement, les enjeux de représentations médiatiques, les bons usages des plateformes en ligne se sont par exemple ajoutés aux thématiques abordées traditionnellement. Pour l’avenir, nous les invitons à redoubler d’efforts pour s’adresser à l’ensemble des publics et pas seulement aux plus jeunes. Il faut continuer à nouer des partenariats avec les acteurs majeurs du monde de l’éducation afin de développer des ressources au plus près des besoins des citoyens. L’EMI et la citoyenneté numérique sont l’affaire de tous, et c’est en créant des synergies que nous parviendrons à nous améliorer collectivement.
CB News : Vous avez signé en janvier 2023 une nouvelle convention avec le ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse pour développer et organiser des actions éducatives. Comment cela se traduit-il dans vos missions ?
Bénédicte Lesage : Via ce partenariat et dans le cadre du plan national de formation des enseignants, nous accueillons des professeurs pour des formations aux enjeux de la liberté d’expression ; d’égalité, et de lutte contre les discriminations. Nous nous appuyons également sur notre réseau d’Arcom locales pour participer aux « Cellules académiques EMI » qui réunissent plusieurs directions de rectorats que nous sensibilisons à nos missions et aux ressources pédagogiques que nous mettons à disposition des enseignants. À titre d’exemple, les fiches pédagogiques que nous publierons en novembre sont le fruit d’un long travail de concertation avec les enseignants du CLEMI pour déterminer les thèmes à traiter ; ajuster les propositions ; choisir les extraits audiovisuels sur lesquels s’appuyer...
CB News : Quelles ressources proposez-vous aux publics pour s’emparer des enjeux d’EMI ?
Bénédicte Lesage : Nous proposons principalement des ressources pédagogiques à l’attention des enseignants. Nous travaillons actuellement à la production de ressources pour une cible plus grand public, notamment les « parents » et les « jeunes publics ». La mise à jour de ces ressources se fait au fil de l’eau avec un travail d’actualisation de nos données en fonction des besoins des enseignants.
CB News : Depuis décembre 2018, l’Arcom veille à ce que les plateformes en ligne mettent en œuvre les moyens de lutter contre les fausses informations. Quel bilan faites-vous aujourd’hui ? Les GAFAM devraient-ils se mobiliser davantage ?
Bénédicte Lesage : Cette loi nous donne compétence pour contrôler que tous les opérateurs de plateforme en ligne -dont l’activité dépasse cinq millions de visiteurs uniques par mois- prennent bien des mesures pour lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l’ordre public ou d’altérer la sincérité des scrutins. Depuis quatre ans, nous adressons chaque année aux opérateurs un questionnaire dans lequel ils précisent les moyens déployés sur l’année écoulée. Nous élaborons par la suite un bilan qui compile nos analyses et rend compte de la quantité et de la qualité des informations fournies par les plateformes. Ces dernières ont pris conscience du rôle clé qu’elles ont à jouer. Néanmoins, le chemin est encore long. Les plateformes doivent continuer leur effort de modération, notamment pour faire face aux vagues de désinformation qui peuvent surgir à l’occasion d’événements tragiques comme nous les connaissons actuellement.
CB News : Comment placez-vous vos actions pour l’EMI par rapport à d’autres acteurs du secteur comme les journalistes ou les associations ?
Bénédicte Lesage : Nous ne souhaitons pas proposer une énième ressource qui aurait déjà été très bien construite par un autre acteur. Nous intervenons uniquement sur des thématiques pour lesquelles nous avons une véritable expertise. Pour nous assurer de la pertinence de notre action, nous sommes en lien constant avec les enseignants, les étudiants, les parents avec qui nous co-construisons nos ressources.
CB News : Qu’attendez-vous des Etats généraux de l’information ?
Bénédicte Lesage : Nous lançons deux études, l’une consacrée au marché publicitaire et l’autre aux modes d’information des Français. Cette dernière s’appuiera sur un panel de 3 400 personnes interrogées sur leurs usages (qui s’informe, à quelle source ?) et sur leurs attitudes vis-à-vis des médias (intérêt et goût pour l’information, confiance dans l’information selon les sources, perception du rôle des médias et des journalistes, etc.) Cette étude devrait nous apporter des éléments précis nous permettant de mieux répondre aux attentes des professeurs, des élèves et du grand public en matière d’EMI et de citoyenneté numérique.