Mathilde Guinaudeau (Ipsos) : « Twitter concentre 75% des conversations en ligne sur le coronavirus en France »
Alors que les Français sont en train de vivre leur seconde semaine de confinement, le groupe Ipsos et sa filiale Synthesio publient une étude de social listening dont CB News partage les éléments clés en exclusivité.
L’étude nous apprend notamment qu’en seulement un mois, le coronavirus a déjà généré plus de trois millions de mentions en ligne. Mathilde Guinaudeau, qui dirige l’entité Social Intelligence Analytics (SIA) chez Ipsos, et qui travaille de près avec Synthesio (startup spécialisée en social listening et rachetée l’année dernière par Ipsos, ndlr), a répondu à nos questions.
Quelles sont les principaux éléments à retenir de cette étude ?
Notre étude s’appuie sur l’analyse des conversations en France sur tous les médias sociaux : les réseaux sociaux, les blogs, les forums ou la presse en ligne collectée par la technologie d’Ipsos, Synthesio leader de la Social Intelligence. Pour bien comprendre la situation, il faut rappeler que le Codiv-19 est à la fois une crise sanitaire et une crise économique qui fait de plus en plus peur : presqu’un Français sur deux (49%) craignait en fin de semaine dernière que le virus contamine un de ses proches, contre 25% il y a quinze jours ; 44% redoutent aussi que la propagation de la pandémie impacte leur emploi.
Si la critique à l’égard des autorités demeure importante, le soutien aux mesures du confinement domine les conversations aujourd’hui. Face à la mauvaise nouvelle du confinement, face au deuil du renoncement à leur liberté de mouvement les conversations ont d’abord porté une part de colère, d’indignation. Les principales critiques portent aujourd’hui sur l’affaire Buzyn, les injonctions contradictoires du gouvernement, les décisions sanitaires sur les choix thérapeutiques sur la chloroquine, l’absence de tests massifs ou sur les stocks de masques. Les conversations sont majoritairement en faveur du confinement et l’indignation porte massivement sur le non-respect des consignes à rester chez soi.
Le hashtag #confinementotal arrive en tête dans les discussions sur les mesures de lutte contre la propagation du virus. Alors que le président de la République a veillé à ne pas prononcer le mot « confinement », les internautes s’en sont emparés et le mettent en exergue. Depuis, une sémantique plus positive d’encouragement a été utilisée dans des centaines de milliers de conversations et ne cesse de prendre de l’ampleur, notamment avec le hashtag #restezchezvous.
En conséquence les conversations sont aujourd’hui principalement du registre de l’opinion, de l’émotion et moins de l’information. On notera néanmoins que 23% des posts comportent une question. Autrement dit, les autorités doivent continuer à faire preuve de pédagogie et les médias contribuer à partager davantage des faits et informations pratiques non seulement sur les mesures de limitation de la propagation, mais aussi sur les implications des mesures économiques ou la prévention des risques pour la santé mentale de ces mesures de confinement.
A date (ce travail a été mené dans les premiers jours du confinement), l’humour, la dérision et l’ironie sont très souvent utilisés les conversations en ligne : ils ont fait le succès des posts les plus engageants et des influenceurs les plus appréciés. Parmi les emojis les plus utilisés sur le sujet, celui qui pleure de rire arrive largement en tête, comme si l’humour était l’antidote et le défouloir du confinement ; aucun format n’est épargné : photos, vidéos, gifs, memes, stories, challenges divers et variés.
On notera ici la similarité avec le comportement des internautes italiens lors des premiers jours de confinement ; la tendance s’est ensuite inversée avec l’expansion de la pandémie. Le même sort se profile-t-il pour la France¸ l’humour étant la politesse du désespoir, sachant qu’il y avait 7 730 cas et 175 morts le 17 mars, contre 19 856 cas et 860 morts le 23 mars ?
Quelles sont les sentiments qui dominent chez les Français en ce moment en ligne ?
Les émotions exprimées évoluent à mesure de notre adaptation au confinement, un process classique face à une mauvaise nouvelle. Au départ la colère, l’indignation, l’irritation ont dominé, et ont laissé plus de place à des émotions positives avec l’humour et les encouragements partagés.
Comment analysez-vous ces émotions qui traversent les Français pendant cette crise ?
Deux tendances se manifestent, diamétralement opposées sur le papier et pourtant, en période de crise, résolument complémentaires, avec d’un côté, une préoccupation croissante des citoyens et de l’autre, le besoin irrémédiable de ne pas surmonter seul(e) cette épreuve. Depuis le début de l’épidémie, nous notons l’individualisation des préoccupations avec des débats en ligne de plus en plus axés sur les conséquences personnelles des mesures prises, le travail, par exemple, avec 72% des Français qui pensent que le confinement va lui nuire et 57% qu’ils vont avoir besoin d’un accompagnement psychologique par la suite.
Le confinement est aussi l’occasion pour témoigner de leur vécu et partager leurs conseils pour supporter au mieux les contraintes liées à l’isolement. Ces mêmes personnes, inquiètes pour elles-mêmes et leur foyer, recherchent une nouvelle forme de sociabilité, un « voyage autour de leur chambre ». Les réseaux sont ainsi peuplés de messages d’encouragement et de solidarité, de conseils sur les bons plans pour se divertir, se cultiver ou occuper les enfants, toujours sur un ton humoristique. Autre émotion qui s’exprime, la reconnaissance (directe ou par procuration) à l’égard « des professionnels sur le front pendant la crise, les personnels soignants en particulier ».
Pourquoi Twitter domine-t-il devant les autres réseaux sociaux ? L’urgence ?
Effectivement, Twitter concentre 75% des conversations en ligne sur le coronavirus en France, un chiffre tout à fait impressionnant et l’urgence fait probablement partie des éléments explicatifs possibles. Twitter étant une plateforme dans laquelle les professionnels de l’information, les politiques et influenceurs sont particulièrement actifs. Twitter est en effet un canal privilégié pour s'adresser aux experts de santé, aux personnalités médiatiques et politiques, et fonctionne comme un porte-voix indispensable pour les citoyens Français : 50 000 posts s’adressent directement au gouvernement, au Président de la République ou à l’OMS.
Mais aussi et surtout, Twitter a toujours été et semble demeurer le réseau social de réaction, de live, autour des actualités des personnalités médiatiques et politiques : la dernière allocution d’Emmanuel Macron en est une illustration édifiante avec un pic de conversations en ligne le 16 mars, date de sa dernière prise de parole, constitué quasi-entièrement de tweets postés en réaction en temps réel : 36 000 mentions organiques (sans compter les retweets). Synthesio nous permet même d’aller plus loin et de détecter, au cœur de cette heure de débat en ligne, deux événements marquants : l’annonce du durcissement du confinement et la promesse de mesures économiques pour soutenir les citoyens Français.
Quel rôle pour les influenceurs ?
L’écoute des conversations en ligne nous apporte une réponse particulièrement intéressante sur le rôle des influenceurs. Nous aurions pu nous attendre à un écho particulier des personnalités politiques, des experts de santé et des personnalités médiatiques, ou des journalistes. Or le tableau de bord d’analyse des réseaux sociaux de Synthesio permet de découvrir les influenceurs ayant reçu le plus d’interactions sur le sujet de l’épidémie sur Twitter, et le verdict est sans appel : en premier, les comptes de personnalités publiques dédiées au divertissement, comme des youtubeurs (Terracid), des influenceurs Twitter (DephaseuR) et même des personnalités comme Booba, Bernard Pivot ou encore Thomas Pesquet.
Pour plus de chiffres, c'est par ici.