Lucien Ebata, CEO de Forbes Afrique : « La presse est notre chien de garde »

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Lucien Ebata, le lundi 16 septembre à New-York (©Thomas Moysan/CB News)

Lundi 16 septembre à New-York, Lucien Ebata, président-fondateur de Forbes Afrique, a célébré le renouvellement de sa licence Forbes Afrique édition francophone pour les 20 ans à venir, après plus d’un an de négociation. Le milliardaire congolais, par ailleurs PDG de la compagnie de trading pétrolier Orion Oil, nous a accordé une interview exclusive.

Quelles sont vos premières impressions après la signature du renouvellement de la licence Forbes Afrique ?

Je considère que c’est un motif de fierté légitime, car nous avons passé plus d’une année à négocier le renouvellement de cette licence, autrefois obtenue pour cinq ans. Cette fois-ci, nous avons réussi à convaincre Forbes pour que la licence soit prolongée à 20 ans.

Pourquoi avoir lancé la franchise Forbes Afrique le 24 juillet 2012 à Brazzaville ?

Ce n’est pas inhabituel de voir un homme d’affaires se lancer dans la presse, et s’intéresser à une marque comme Forbes, qui a une vocation, une histoire.

Vous êtes le second détenteur de la licence : il existe un Forbes Africa destiné au marché anglophone. Il manquait un grand magazine économique en français ?

Je suis le premier détenteur parce que nous couvrons plus de pays que la concurrence anglophone. A l’époque, il y avait Jeune Afrique Economie, mais qui n’est pas restée très longtemps. Nous pensons que le magazine américain Forbes a son histoire, sa marque, sa distinction sur le palmarès, sur les classements.  Une version francophone du magazine permet de promouvoir les talents, les PME, les startups.

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Lucien Ebata et Christopher Forbes, le 16 septembre chez Forbes Media à New York.

Quel bilan tirez-vous du développement de la licence Forbes Afrique depuis 2012 ?

Il est très positif. Nous sommes passés d’un capital de 100 000 euros à 2 millions d’euros. Nous allons rester attentifs à la promotion du digital sur le magazine pour envisager une audience beaucoup plus importante. La rédaction est composée de 15 reporters répartis sur dix pays africains, nous resterons attentifs à ce que ce nombre puisse augmenter afin d’avoir un échantillon beaucoup plus représentatif sur le continent. En effet il y a dans le monde 300 millions de francophones et environ 1,2 milliard de personnes sur le continent africain. Il faut absolument que le bilan soit beaucoup plus emblématique que ce qu’il est aujourd’hui.

Voulez-vous augmenter le nombre de pays dans lequel il est diffusé ?

Inévitablement. Il est diffusé dans 24 pays mais il n’a pas encore atteint la vitesse de croisière que nous souhaitons en raison de certaines restrictions qui existaient avec le magazine notamment en matière de digitalisation. Nous avons négocié et dorénavant, il sera beaucoup plus facile de cibler l’audience que nous avions préconisée.

Aujourd’hui, vous touchez combien de personnes véritablement avec le magazine ?

Forbes Monde a une audience d’environ 39 millions de personnes. Nous restons tous connectés, c’est à dire que Forbes Amérique fait place à toutes les licences. Notre objectif est de cibler le plus grand nombre de personnes possibles dans la francophonie, notamment dans les 24 pays que couvrent notre magazine.

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Lucien Ebata, le 16 septembre chez Forbes Media à New York.

Quelles sont vos ambitions pour ces 20 ans à venir ?

On fera le bilan dans 20 ans ! Les ambitions consistent essentiellement à exister comme magazine, à faire la promotion des talents, des acteurs économiques, de l’éclosion du génie africain, et surtout participer à promouvoir le magazine notamment à travers la digitalisation, car tout le monde n’a pas forcément vocation à lire la version papier. Nous travaillons donc pour que la version digitale soit un instrument pour nous permettre d’avoir accès à tout le monde. Par ailleurs, nous voulons aussi reprendre le forum économique Forbes Afrique, un grand rendez-vous des jeunes talents et des décideurs économiques, financiers ou politiques, africains et internationaux. Nous avons aussi l’intention de créer grâce à cette licence un club Forbes, pour pouvoir discuter des enjeux qui intéressent le continent.

Quel est le modèle économique de Forbes Afrique ?

Comme dans tout magazine, le modèle économique dépend de ce que vous envisagez. Nous tablons sur la publicité pour pouvoir vendre le magazine. Dans le digital, ça sera à peu près pareil, parce qu’on conclut des ententes avec les grandes sociétés de high tech, comme Apple.

Le numérique restera donc gratuit, financé par la publicité et non sur abonnement ?

Il ne restera pas forcément gratuit. Il y a des paramètres et des limites d’accessibilité du numérique, qui font que si vous allez plus en détail, il va falloir payer. Mais il faut certainement favoriser l’accessibilité du magazine à notre audience. 

Dans quels pays sera diffusé le magazine dans les années à avenir ?

Nous n’avons pas de préférence pour un paysen particulier et tous restent prioritaires. Aujourd’hui la distribution est répartie pour 35% en Europe et 65% en Afrique. L’Afrique est en mutation accélérée, en profonde transformation, et on ne peut pas prioriser certains pays plus que d’autres. Selon les statistiques de la Banque Mondiale, six pays sur dix ayant la plus forte croissance économique sont africains. Notre objectif est de faire en sorte d’avoir le plus d’audience possible sur toute l’Afrique, et inévitablement, ce sont les pays les plus avancés économiquement vont le plus bénéficier de la promotion faite par le magazine.

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Christopher Forbes, Lucien Ebata et Mike Federle, le 16 septembre chez Forbes Media à New York.

Quels paramètres la nouvelle licence a-t-elle fait évoluer ?

La nouvelle licence nous donne la possibilité d’organiser le forum Forbes Afrique avec un sponsoring, alors qu’auparavant c’était plus limité. La licence nous donne également la possibilité d’organiser le Club Forbes, et nous permet d’être interconnectés à la plateforme Forbes à travers le monde.

Selon vous, pourquoi la famille Forbes vous fait-elle confiance ? Pourquoi vous a-t-elle choisi plus qu’un autre ?

Elle ne nous a pas choisi spécifiquement, mais nous sommes entrés en négociation et nous avons apporté les garanties nécessaires pour tenir et promouvoir le magazine en respectant les règles contractuelles et d’éthique tout en respectant la marque. Nous l’avons prouvé depuis sept ans, il n’y avait pas de raison de ne pas renouveler cette confiance. Par exemple, depuis l’existence du magazine, Forbes Afrique n’a pas utilisé de politiques en page de couverture, j’y veille personnellement.

Est-ce que vous voulez à l’avenir couvrir la zone anglophone ?

Non, nous avions choisi à ce que le média soit entièrement francophone, parce qu’il existait déjà une version anglaise. La licence couvre une zone géographique : cela signifie que pour publier dans un espace qui n’est pas le vôtre, il faut conclure un accord avec la concurrence et en informer Forbes. Si par exemple je veux distribuer dans le Moyen-Orient, qui couvre par exemple le Maroc, je dois conclure avec les détenteurs de la licence Forbes au Moyen-Orient.

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Lucien Ebata, le 16 septembre chez Forbes Media à New York.

Quel est votre rapport à la presse ? Détenir un magazine, qu’est-ce que cela représente pour vous, personnellement ?

La presse est notre quatrième pouvoir, c’est notre chien de garde. Contrairement à la presse généraliste, nous avons choisi d’avoir un magazine à vocation économique et financière qui va pouvoir faire la promotion des talents, des acteurs et du génie africain. C’est par l’exemple que l’on peut montrer aux jeunes générations qui caressent le rêve de réussite qu’elles aussi peuvent réussir. En réalité, c’est un motif de fierté légitime parce que cela nous permet de diffuser une information à ceux qui ont en besoin.

Vous voulez montrer les acteurs qui ont réussi, comme vous ?

Je ne sais pas si j’ai réussi. La réussite ce n’est pas une destination, c’est plutôt un voyage. Parce que le plus important ce n’est pas d’y arriver, mais de concéder de puissants efforts pour s’y maintenir. Par contre, je suis très attentif aux réussites des startups, des PME, des jeunes talents. Il m’arrive d’identifier les jeunes individus qui veulent aller en affaires. Je finance la scolarité à plus de 250 enfants : certains font des maîtrises, des grandes écoles. Je crois profondément au potentiel dont regorge l’Afrique et à l’avenir. 

Avez-vous des ambitions présidentielles au Congo ? Pour lesquelles être détenteur de la licence Forbes Afrique pourrait vous aider ?

Je n’ai pas d’ambitions présidentielles et je n’en ai pas la prétention. Pourquoi devrais-je mourir avant mon âge ? J’ai suffisamment de défis à relever dans le milieu des affaires, et peut être même à faire une expansion de la presse. J’ai essayé d’en faire une, mais en France, quand vous êtes étranger, vous ne pouvez pas détenir plus de 30% d’un organe de presse. Donc il faut en créer un : Forbes Afrique Media est un organe de presse français, créé par une société française dont je suis actionnaire à 100%, donc j’en suis le propriétaire. Mais si j’avais la possibilité de détenir plus que 30%, je l’aurais fait. Il y a tellement de défis à relever, pourquoi tout le monde devrait devenir président ? Il n’y a qu’un siège et cinq millions de congolais. J’ai déjà un rapport au pouvoir, à la presse. J’ai un rapport avec les journalistes, c’est déjà assez. Je crois personnellement que j’ai beaucoup de défis à relever pour penser à avoir des ambitions présidentielles.

Le magazine est édité à Paris ?

Le siège social est à Paris, et le magazine est imprimé en Hollande. Les secrétaires de rédaction, et une partie des journalistes sont à Paris. J’habite à Kinshasa, mais ma famille est basée à Paris, mes enfants sont scolarisés en France.

Vous êtes PDG de la société de trading pétrolier Orion Oil : être propriétaire de la licence Forbes Afrique vous donne-t-il des avantages dans le commerce du pétrole, une influence différente ?

Je n’ai jamais vu cela comme ça. Je fais beaucoup de choses par passion. A aucun moment, je n’ai eu une intention particulière sur le lien entre une chose et une autre. Forbes Afrique est une société totalement différente par rapport au groupe Orion Oil, dans la galaxie des sociétés du groupe. Je n’ai jamais pensé de cette façon.

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Devant Christopher Forbes, Mike Federle et Lucien Ebata signent le renouvellement de la licence Forbes Afrique, le 16 septembre chez Forbes Media à New York.

Le FMI a annoncé jeudi 12 juillet qu'il allait accorder 448,6 millions de dollars sur trois ans au Congo pour relancer l'économie du pays. Vous étiez le négociateur en chef pour le Congo : pensez-vous que votre poste de CEO de Forbes Afrique vous a aidé à mener les négociations ? Est-ce que ça a pesé dans la balance ?

Je ne crois pas, car Forbes est complètement différent. J’ai bénéficié de la confiance du président Denis Sassou-Nguesso, qui a décidé de prendre un homme d’affaires pour le mettre à la tête de la commission de suivi des négociations avec le FMI. J’ai une certaine connaissance des marchés financiers internationaux. J’ai beaucoup travaillé dans les financements structurés et donc je sais bien comprendre le FMI et le Congo, pour permettre au pays de s’en sortir. Le but du programme était de rétablir les équilibres macro-budgétaires, car le Congo est un pays qui a souffert avec la crise économique due à la chute des matières premières. Comme spécialiste des marchés, des financements structurés, j’ai pu jouer ce rôle. Rien à voir avec Forbes.

Vous êtes à la fois patron d’un média et d’une compagnie pétrolière. Est-ce que vous allez vous interdire de parler de certains sujets dans le magazine, notamment sur le pétrole ?

Certainement pas, parce que les journalistes sont autonomes. Il y a un rédacteur en chef et un directeur de la rédaction, qui écrivent les articles de leur choix. Je ne peux pas leur interdire d’écrire sur Orion Oil :  vous savez comment les journalistes deviennent incisifs quand vous leur interdisez de faire quelque chose. Il faut laisser aux journalistes la possibilité de le faire. Par contre, je ne souhaite pas que les journalistes fassent ma promotion, je ne veux pas être en couverture pour parler des sujets qui regardent le développement de ma société. S’il y a des activités économiques ou financières menées dans le cadre d’Orion, la presse spécialisée existe, Bloomberg, Global Trade Review, tous les autres, peuvent en parler. Maintenant, il peut arriver que les journalistes en parlent, mais ce n’est pas moi qui leur met le couteau à la gorge pour le faire.

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Lucien Ebata signe le renouvellement de sa licence Forbes Afrique, le 16 septembre chez Forbes Media à New York.

Avec toutes vos activités, à quoi ressemble votre journée type ?

Elle est hyper chargée, surtout ces dernières années durant lesquelles, d’un côté j’ai négocié la licence Forbes pour 20 ans, et de l’autre, mené les négociations avec le FMI. Avec un gouvernement et une population qui attendaient que cela aboutisse, et le FMI qui a des règles extrêmement difficiles.

A quel montant la licence a-t-elle été concédée par Forbes ?

J’aurais bien voulu avoir le plaisir de vous le révéler, mais l’entente est confidentielle. Je ne voudrais pas commettre la maladresse de me faire annuler la licence aussitôt signée. Personnellement, je serais fier d’annoncer le montant, est-ce que Forbes de son côté aurait souhaité faire la même chose ? Je n’en sais rien.

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