Vice TV veut réconcilier les jeunes et la télé
La chaîne du groupe Vice Media – Viceland, distribuée exclusivement par Canal+ – a annoncé début janvier qu’elle changeait de nom pour devenir Vice TV. Lancée en 2016 en France, la chaîne dévoile à CB News ses ambitions pour 2020. Rencontre avec Dolores Emile, directrice générale de Vice TV France. Interview exclusive.
Pourquoi avoir changé le nom de Viceland en Vice TV ?
Nous avons changé le nom, le logo et l'habillage de la chaîne, passant de Viceland à Vice TV, pour simplifier et créer plus de lisibilité autour de la marque mère Vice, autour du fameux logo graffiti que beaucoup connaissent. L’objectif était aussi de rassembler pour ceux qui ne sauraient pas encore que nous sommes la chaîne de TV née du magazine et du site Vice. Le contenu reste bien évidemment exclusif au média TV, et les programmes longs Vice TV sont disponibles uniquement sur la chaîne et en replay sur MyCanal, mais le ton, la sève, restent les mêmes : c'est l’ADN Vice.
Quelle a été l’origine de la création de Vice TV en 2016 ?
Le groupe Vice a été lancé en 1994, sur le principe du journalisme gonzo. Très vite, le groupe a commencé à produire pour des tiers, notamment avec HBO aux Etats-Unis, puis s’est mis à la news : on a été les premiers à ramener des reportages sur Al-Qaida, qui ont été achetés par de nombreuses chaînes, même en France. Très vite, Vice a eu des velléités de créer sa propre chaine. On a fait le chemin inverse de beaucoup de chaînes, c’est-à-dire qu’on est parti du digital pour ensuite faire une proposition télé, du non-linéaire vers le linéaire.
Notre souhait est d’être présents partout là ou l’audience se trouve, et de suivre leur mode de consommation de contenu. C’est dans cette logique que nous avons eu l’ambition de lancer une chaine de télévision dans différents pays dans le monde, pour exposer une nouvelle audience à ce que propose VICE.
Comment s’est construit votre partenariat exclusif avec Canal+ ?
Notre objectif, c’était d’importer du digital le côté subversif, différent, disruptif, pour apporter cette fraîcheur-là en télé. C’est le postulat qui nous a réuni avec Canal+, qui veut s’adresser à une cible plus jeune.
Comment s’organise votre grille ?
Nous avons différents volets thématiques par soirée : le lundi, c’est la case documentaires HBO, le mardi c’est food, c’est quand même organisé. On a également des thématiques entertainement et sociétal. Le week-end généralement, lorsque l’audience est plus disponible, nous rediffusons les programmes les plus forts de la semaine et faisons la part belle à nos productions originales françaises. Nous sommes une chaîne de complément et nous proposons donc nos programmes en décalage avec ceux des chaînes gratuites, souvent plus tôt pour ceux qui rentrent du travail ou des cours, et plus tard pour ceux qui veulent continuer à regarder la TV après la deuxième partie de soirée.
Les 18-24 sont donc votre cœur de cible ?
Notre cœur de cible est plus large. Notre approche et notre manière d’aborder les choses sont adaptés à la cible 18-34. Le parti-pris de Vice, c’est de dire que les jeunes s’intéressent à tout, à partir du moment où vous vous adressez à eux dans leur langage, et arrêter de dire que les jeunes ne regardent que du divertissement et/ou la télé-réalité. Si vous travaillez avec des journalistes jeunes, si vous faites réaliser l’émission par des jeunes, si vous traitez des sujets qui impactent ou qui les interrogent sur leur vie et leur quotidien, forcément il y aura une énergie qui va parler à cette cible.
Quelles sont vos audiences ?
Le parti-pris de Vice et notre objectif, c’est vraiment d’installer notre patte en France et de créer un lien d’authenticité avec notre audience. La chance qu’on a, c’est de ne pas être dans une course aux chiffres et à l’audience. Une marque, ça met du temps à s’installer, on ne voulait pas être dans une logique de ‘ça ne marche pas, on réagit, on change’, mais installer notre ligne éditoriale dans le temps.
Quel est votre prochain point d’étape ?
En 2020, nous souhaitons développer les news, les reportages et émissions qui traitent des sujets de société. Notre objectif est de continuer à rendre visible des sujets qu’on ne voit pas ou peu en TV de manière générale : aborder des sujets de société, sous un nouvel angle et apporter un regard nouveau, s’interroger aussi comme notre téléspectateur.
Vice Studios a été lancé aux Etats-Unis et en Angleterre et a produit des films documentaires comme « Fyre : le meilleur festival qui n'a jamais eu lieu » et diffusé sur Netflix, ou plus récemment « The Report », diffusé sur Amazon Prime Vidéo. Ce sera aussi une des prochaines étapes de développement en France.
Qui sont vos concurrents aujourd’hui ?
Je ne pense pas que nous ayons vraiment de concurrents en termes de ligne éditoriale. En termes de cible et contenu, il y a Clique TV, mais je considère leur offre plutôt complémentaire. Il y a aussi les chaînes MTV et ou BET, plutôt orientées vers l'entertainment pur (musique, tv réalité, pop culture, séries), là où notre positionnement est peut-être plus sociétal et subversif.
Pourquoi se lancer dans la slow TV ?
Ce qui est bien quand on s’appelle Vice, c’est qu’on peut pousser la créativité et l’expérimentation. La slow TV, on ne l’a pas inventée, cela vient des pays nordiques. L’idée, c’était de la mettre à la sauce Vice et de prendre des thèmes qui représentent la société d’aujourd’hui : le kebab, parce qu’apparemment c’est le sandwich le plus consommé par les Français, un salon de coiffeur afro, ou une péniche qui se balade dans Paris. Pour imaginer ses contenus créatifs, nous nous appuyons sur le Vice Lab, composée de jeunes entre 24 et 27 ans. Le Vice Lab est un véritable laboratoire d’expérimentation. On veut vraiment être une plateforme d’expérimentation, avoir une approche décalée et différente de ce qu’on peut trouver à la télé. Cela fait partie de notre ADN, l’expérimentation et la transparence.
Vous employez le mot « TV », en parlant du linéaire et du délinéaire.
Oui, parce que je pense que c’est le contenu qui compte. Aujourd’hui la télé n’est faite que de contenus, c’est un canal de diffusion comme un autre. Tout doit partir du contenu, s’il est de qualité, les gens le suivent, peu importe la plateforme. Aujourd’hui, avec tous les nouveaux arrivants, ainsi que le volume et la qualité de contenu qui augmentent exponentiellement, on se rend compte qu’il n’y a plus cette notion de média plus « noble » qu’un autre. Le contenu et sa qualité sont revenus au centre de la discussion, et je trouve que c’est une bonne chose.
Votre régie est celle de Canal+ : pouvez-vous imposer vos annonceurs ?
Notre activité TV est commercialisée par la régie de Canal+. Nous disposons d’une partie de l’inventaire, donc nous pouvons aussi activer des annonceurs. Dans les deux cas, personne n’impose rien, au contraire. Nous sommes ravis de travailler avec une multiplicité d’annonceurs. Ils nous sollicitent pour l’audience à laquelle on s’adresse mais aussi pour notre créativité et notre singularité. Et plus globalement, notre régie est Vice+. Elle conçoit des dispositifs et des mécaniques créatives qui engagent des talents émergents et parlent aux millennials et à la GenZ.
Vice TV existe dans de nombreux pays (Australie, Nouvelle-Zélande, Inde, Angleterre, Benelux, Hollande, Canada, Etats-Unis) : quelles sont les synergies avec la France ?
Nous diffusons des programmes étrangers. L’Angleterre a produit un documentaire sur Greta et les problématiques environnementales. La Nouvelle Zélande a récemment réalisé un documentaire sur la communauté LGBTQ+. L’objectif, c’est de construire une vraie chaîne internationale. On part du principe qu’un jeune en Nouvelle-Zélande et un jeune en Afrique ne sont pas très différents d’un jeune Français. Nous diffusons nos émissions d’un pays à l’autre dès qu’il y a une résonnance potentielle. Une problématique locale peut aussi être universelle. Par exemple, le documentaire sur Kiddy Smile a reçu une grande résonnance aux Etats-Unis. Les jeunes sont intéressés par ce qu’il se passe autour d’eux, mais aussi dans le monde.
Vice en france a fait l’objet en 2019 de polemiques autour de ce que l'on pourrait appeler une "culture sexiste"... Comment avez-vous réagi en interne ?
Je sais que lorsque la nouvelle direction a été mise en place, elle a pris des décisions drastiques. La chance qu’on a, c’est qu’on appartient à un groupe progressiste. Aujourd’hui, c’est important pour nous que cela se passe bien, au niveau du respect au travail, de la diversité, de la mise en avant des femmes. Ce sont des sujets qui personnellement me tiennent à cœur. Certains médias affichent une forme d’engagement sur ces sujets, dans leurs contenus, mais en réalité, je pense que cela doit aller au delà. Il faut travailler la question au fond au sein même de l’entreprise. Cela requiert une vraie prise de conscience, d’initiative qui doit être suivie d’actions concrètes à mettre en place.
Chez Vice, ce sont de vrais discussions au sein de l’entreprise avec nos collaborateurs : c’est important de créer ces moments d’introspection et de remise en question. Nos valeurs doivent être autant représentées dans nos contenus que dans l’entreprise. Nous cherchons à être un média représentatif de la société. C’est cette approche qui encourage la diversité dans tous ces aspects, qui nous permettra de créer des programmes pertinents, forts, prenant en compte tout ce qui concerne notre audience, tout aussi diverse.