Rachat de Marianne : les négociations avec Jean-Martial Lefranc s’arrêtent (encore)
Nouvel accroc dans la revente de l'hebdomadaire Marianne : son propriétaire CMI France a "pris acte" samedi de l'arrêt des négociations avec l'entrepreneur Jean-Martial Lefranc, récusé par une partie de la rédaction faute de garanties sur l'indépendance éditoriale.
CMI France "prend acte de ce que les discussions avec M. Lefranc sont terminées" et déplore "une situation inédite (qui) place le magazine dans une conjoncture incertaine", écrit le groupe du magnat tchèque Daniel Kretinsky (Elle, Télé 7 jours...) dans un communiqué transmis à l'AFP, se disant toutefois "déterminé à trouver un avenir pour le titre", mis en vente depuis fin avril. "On se félicite de l'arrêt des discussions parce qu'on était très inquiets des perspectives sur l'indépendance éditoriale. Notre objectif est atteint", a commenté auprès de l'AFP Hadrien Mathoux, président de la société des rédacteurs de Marianne (SRM), qui croit toujours aux possibilités de trouver un repreneur. "On a bien évidemment conscience de la situation qui est difficile mais on pense qu'on peut trouver des investisseurs qui seront à la fois respectueux de l'identité de Marianne et en capacité d'apporter les fonds nécessaires", a-t-il ajouté.
C'est la deuxième fois cette année que le rachat de l'hebdomadaire cofondé en 1997 par Jean-François Kahn capote. En juillet, CMI France avait déjà été contraint de cesser les discussions avec le milliardaire conservateur Pierre-Edouard Stérin, rejeté par la rédaction après la révélation par le Monde d'accointances avec l'extrême droite. Les salariés de l'hebdomadaire s'étaient mis en grève pour obtenir gain de cause et les discussions avaient cessé d'un commun accord entre les deux parties. Des "négociations exclusives" s'étaient alors ouvertes avec Jean-Martial Lefranc, un entrepreneur de 62 ans ayant fait carrière dans les jeux vidéo et propriétaire du groupe de presse jeunesse Fleurus depuis 2009. M. Lefranc proposait 8,5 millions d'euros, CMI France se disant disposé à prendre en charge une partie des coûts de reprise, pour 3 millions d'euros. Malgré l'arrêt des discussions, M. Lefranc, affirme cependant qu'il "ne renonce pas à la reprise du titre, dont le retour à l'indépendance est un élément fondamental de la préservation du débat démocratique", selon une déclaration transmise à l'AFP.
Des echanges parfois musclés
Une récente rencontre avec la société des rédacteurs de Marianne (SRM) a toutefois mis le feu aux poudres, notamment au sujet des garanties d'indépendance éditoriale. Après cette entrevue, la SRM a demandé mardi "l'arrêt immédiat" des discussions, estimant que M. Lefranc avait "la ferme intention" d'intervenir dans la ligne éditoriale du journal et de "remédier personnellement" aux articles ne répondant pas, selon lui, aux "exigences de la déontologie journalistique". Selon la SRM, la viabilité financière de l'offre de reprise de M. Lefranc avait par ailleurs été "gravement" compromise par la défection de son principal contributeur, Antoun Sehnaoui. La rédaction s'était alors dite "prête à user de tous les moyens pour obtenir satisfaction dont la grève". L'entourage de M. Lefranc avait réagi en affirmant que la "radicalité" de la SRM compromettait le rachat du titre. "L'attitude exprimée par une majorité de la rédaction ne permet (...) pas d'envisager une reprise sereine et constructive de Marianne à date", avait ajouté cette source dans un bref communiqué.
Trouver un avenir pour le titre
Dans son communiqué samedi, le groupe CMI France prend donc acte de cette impasse et affirme qu'il examinera désormais "toutes les solutions envisageables", "déterminé (...) à trouver un avenir pour le titre, en concertation avec la direction du magazine". Le groupe, propriétaire de Marianne depuis 2018, "indiquera prochainement les grandes orientations qui pourraient alors être retenues", selon le communiqué. En 2023, avec 129.000 exemplaire vendus, Marianne avait vu sa diffusion baisser de 1,3% par rapport à 2022, derrière ses concurrents Le Point (291.000, -1,5%), L'Obs (190.000, -7%) et L'Express (144.000, -5%), selon l'Alliance pour les chiffres de la presse et des médias. Marianne a perdu 3 millions d'euros en 2023, pour 12 millions d'euros de chiffre d'affaires. L'hebdomadaire, dont Natacha Polony dirige la rédaction, défend une ligne éditoriale souverainiste, pro-laïcité, antilibérale en économie et critique des élites. C'est ce ton qui a incité Daniel Kretinsky, libéral en économie et favorable à la construction européenne, à se séparer du magazine.