Nathalie Sonnac (CLEMI) : "L'éducation à l'information doit être une matière obligatoire"
CB News interroge tout au long du mois les grands acteurs de l’éducation aux médias et à l'information (EMI) à l'occasion de la semaine mondiale de l’EMI qui devait se tenir du 23 au 25 octobre en Jordanie.
Alors que l’événement est décalé en raison de la guerre entre Israël et le Hamas, la série d’échange se poursuit avec Nathalie Sonnac, présidente du Conseil d’Orientation et de Perfectionnement du CLEMI (Centre de Liaison de l'Enseignement et des Médias d'Information) depuis mars 2022. Professeure des universités, ex-membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (maintenant l'ARCOM), elle est spécialisée dans l’économie des médias, de la culture et du numérique.
CB News : Le concept d’EMI existe depuis la fin des années 70 lorsqu’un ministre introduit à école de la presse d’information comme support pédagogique. Quelle est sa définition aujourd’hui ?
Nathalie Sonnac : La croyance dans une information de qualité est consubstantielle à nos démocraties. L’arrivée de nouvelles technologies a bouleversé notre rapport à l’information. Le modèle économique des médias vacille, et se retrouve concurrencé par des plateformes plus puissantes en terme financier et de réseau. Nous devons donc changer de dimension et instaurer de nouveaux cadres réglementaires.
CB News : Quelles peuvent être ces cadres réglementaires ?
Nathalie Sonnac : Le CLEMI fait la liaison entre les médias et l’école. Il faut sanctuariser ce travail en accentuant la formation des enseignants. Nous pouvons le faire en inscrivant l’EMI dans les Contrat d'objectifs et de moyens (COM) des groupes publics, dans les conventions des chaînes privées, mais aussi dans les conventions-cadres des groupes de presse. Les journalistes doivent consacrer un temps de leur travail à la formation des professeurs.
CB News : Le rôle des journalistes est-il de former à l’EMI ?
Nathalie Sonnac : Le journaliste est le mieux placé pour le faire. Il est la matière première pour faire des ateliers sur le fact-checking, travailler sur la liberté d’expression... Des spécialistes comme des experts en data peuvent ensuite compléter la formation. Il s'agit d’une matière transversale, mais nous devons en faire une matière obligatoire dans le parcours scolaire, avec une notation et un cahier de compétence. Il est complexe de pousser les programmes, mais cela est indispensable.
CB News : Quel est l’impact de L’EMI au sein des établissements scolaires ?
Nathalie Sonnac : L’EMI a un impact important au sein des établissements. Depuis les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan puis l’assassinat de Samuel Paty, l’EMI s’est renforcée à travers la circulaire du 24 janvier 2022 portant sur le pilotage de l'EMI dans chaque académie. L'EMI ne répond pas à tout, mais elle participe à ce que chaque élève puisse être un citoyen numérique, qu'il puisse reprendre le pouvoir de comprendre, analyser et traiter une information.
CB News : Qu’entendez-vous par “citoyen numérique” ?
Nathalie Sonnac : Nous avons tous accès à une masse d’information à travers les plateformes numériques. Il est important de questionner sa source et de mieux comprendre son environnement. Les plateformes numériques sont de formidables outils d’accès à la connaissance et de partage du savoir. En même temps, si nous ne connaissons pas leurs modalités de fonctionnement - comme la politique des données personnelles, le risque d’enfermement dans des bulles informationnelles, ou encore avoir conscience de l’info obésité - nous ne pouvons pas les utiliser correctement et nous en protéger.
CB News : Comment aller plus loin ?
Nathalie Sonnac : Nous avons besoin de soutien financier pour avoir plus de gens sur le terrain. Il faut également renforcer les moyens des coordonnateurs académiques du CLEMI et installer au sein du rectorat une cellule académique de l’EMI. J’aimerais également créer une plateforme pour réunir toutes les ressources proposées aux enseignants. Un travail qui est déjà en cours sur notre site.
CB News : Vous proposez également des actions à destination des familles (guide, kit d'ateliers, série TV... de la Famille Tout-Écran), pourquoi faire de l’EMI dans ce cadre privé ?
Nathalie Sonnac : Lors de notre tour de France, nous avons constaté que les parents sont démunis face aux nouveaux outils technologiques. Le journaliste avait le monopole de l’information dans l’espace public, aujourd’hui tout le monde peut poster des contenus et diffuser de l’information sans en être des professionnels. Les parents sont concernés par ces changements et pour cette raison, il faut développer une “parentalité numérique".