Indépendance des médias : le Sénat a adopté dans la douleur une proposition de loi
Le Sénat s'est déchiré jeudi sur le dossier sensible du pluralisme médiatique, la droite s'opposant frontalement à l'extension des pouvoirs de contrôle du régulateur de l'audiovisuel (Arcom), aux côtés du gouvernement qui a promis un projet de loi sur l'indépendance des médias dans les prochains mois.
Une proposition de loi socialiste visant à "renforcer l'indépendance des médias" a suscité de vifs débats dans la chambre haute, dominée par une alliance de la droite et du centre. Au cœur des discussions, l'extension du pouvoir de contrôle de l'Arcom en matière de pluralisme des chaînes : la gauche souhaitait ainsi sanctuariser dans la loi une décision du Conseil d'Etat de février 2024, qui impose au régulateur d'élargir son contrôle de la "diversité des courants de pensée" à tous les invités des émissions, et non pas uniquement les personnalités politiques présentes en plateau. "Il s'agit simplement d'une réaffirmation du pluralisme", s'est justifiée la socialiste Sylvie Robert, auteure du texte qui a appelé le Sénat à soutenir cet acte "symbolique" pour l'indépendance des médias, quelques mois après le retrait par l'Arcom de la fréquence TNT de C8 et NRJ12. Mais la mesure, ainsi qu'un autre dispositif renforçant les sanctions à la disposition de l'Arcom, a entraîné une levée de boucliers de la droite, qui a obtenu leur suppression avec le soutien de la ministre de la Culture Rachida Dati.
Le sénateur LR Max Brisson a ainsi épinglé "une intention cachée" par la gauche de "cibler le groupe Canal+" à travers ce "coup politique". "Vous redéfinissez la liberté d'expression autour d'une espèce de vérité absolue, qui nie la spécificité de la presse d'opinion", a prolongé son collègue LR Olivier Paccaud. "On va décompter la blague de droite, la blague de gauche... C'est quand même assez inquiétant de vouloir attribuer des étiquettes aux uns et aux autres", a également insisté Pierre-Jean Verzelen (Horizons). Ces prises de position ont suscité l'indignation de la gauche, minoritaire au Sénat. "Vous défendez dans cet hémicycle l'action de Vincent Bolloré", a répliqué le communiste Pierre Ouzoulias. Or le milliardaire possédant dans son giron CNews, Europe 1 ou encore C8, "mène un combat civilisationnel et se saisit de la totalité des médias français pour accomplir ce combat", a-t-il repris. Quant à Rachida Dati, elle s'est rangée à l'avis de la droite, se contentant d'estimer "qu'intégrer la jurisprudence du Conseil d'Etat dans la loi n'apporterait rien de plus". La majorité sénatoriale s'est également opposée à la mise en place, proposée par la gauche, d'un "droit d'agrément" des journalistes pour leur directeur de rédaction, permettant aux rédactions de s'opposer à certains profils. Une réaction, notamment, aux grèves de l'été 2023 au Journal du Dimanche contre l'arrivée comme directeur de Geoffroy Lejeune, marqué à l'extrême droite. "A ce rythme-là, il n'y aura plus aucun investisseur dans la presse écrite", a alerté le centriste Michel Laugier, craignant une "entrave au droit d'entreprendre".
Pour certaines mesures, ça passe
Plusieurs mesures plus consensuelles sur la protection des sources, les chartes de déontologie dans les rédactions ou encore les "droits voisins" ont en revanche été adoptées par le Sénat. La proposition de loi socialiste est désormais transmise à l'Assemblée nationale, sans certitude d'être inscrite à l'ordre du jour de cette chambre où d'autres initiatives fleurissent, comme un texte déposé ces derniers jours par Violette Spillebout (Renaissance) et Jérémie Patrier-Leitus (Horizons). Ces propositions interviennent quelques semaines après l'aboutissement des Etats généraux de l'information (EGI), lancés il y a un an par le président de la République Emmanuel Macron. Quinze propositions ont été soumises par les responsables de ces EGI début septembre, ces derniers demandant aux pouvoirs publics un "droit de suite" à leurs idées. Rachida Dati a promis de "s'appuyer sur les travaux de l'ensemble des parlementaires" en vue d'un prochain texte issu des conclusions des EGI. "Mes services ont commencé la rédaction d'un projet de loi", a prévenu la ministre, estimant que son examen ne pourrait pas démarrer "avant le début d'année 2025" compte tenu de l'agenda parlementaire.