Le groupe Les Echos mise sur l'innovation
2016 aura marqué, s’il en était besoin, la volonté des Echos de s’inscrire résolument dans la révolution numérique sans oublier qu’il est un groupe de presse. Nouvelles formules, innovations technologiques… 2017 s’annonce tout aussi riche malgré un contexte troublé notamment par les adblocks ou la mesure d’audience… Le directeur général délégué du groupe Les Echos Christophe Victor s’explique. Interview exclusive.
CB News : 2016 a semble-t-il été marqué par la poursuite et l’accélération de l’engagement du groupe Les Echos dans les développements numériques ?
Christophe Victor : C’est vrai, mais pas seulement. Nous n’avons pas oublié le print. Les nouvelles formules de Capital Finance, d’Investir et de Série Limitée, la sortie des Echos Week-End en sont la preuve. Les Echos Week-End est un très grand succès de diffusion et de notoriété. C’était un challenge de faire un magazine plus léger et de qualité avec l’image statutaire du quotidien. C’est aussi un succès publicitaire qui se traduit par une augmentation de 71% du chiffre d’affaires, à période égale vs les 2 formats précédents, Enjeux Les Echos et le 3ème cahier week-end du quotidien, qui ont été remplacés désormais par Les Echos Week-End. Pour Série Limitée, l’enjeu était différent, mais le chiffre d’affaires publicitaire des trois derniers mois est en progression. Pour autant, c’est vrai nous avons mis le paquet sur le digital en 2016.
CB News : 2016, année numérique pour Les Echos, donc ?
Christophe Victor : Ce sujet est notre sujet de préoccupation majeur et également celui de nos lecteurs. Forcément, nous nous devons d’être au centre de l’information que l’on peut leur donner sur cette matière et sur tous les changements de business-modelqui l’accompagnent. Notamment en termes d’innovations qui irriguent tous les secteurs d’activités. Nous cherchons à nous placer au cœur et à être le partenaire des individus et des entreprises dans cette transformation majeure. C’est tout le sens, par exemple, des pages « start-up » du quotidien, de l’acquisition de l’agence Pelham Média et du lancement de l’événement Viva Technology. Aujourd’hui, quasiment la moitié de nos événements et de nos études sont égalementsur ces thématiques de transformation digitale…
CB News : Cela se poursuivra pendant cette nouvelle année ?
Christophe Victor : Plus que jamais. Cette année, même notre communication va être sur ce sujet. Nous sommes convaincus que nous ne sommes qu’au début de la 3ème révolution industrielle. Si nous n’y sommes pas présents, pas au cœur de l’info, nous ne remplissons pas notre mission. Et puis, en en parlant, il faut que nous-mêmes, groupe Les Echos, nous vivions cette transformation car il serait compliqué pour un quotidien économique d’expliquer ce qu’il se passe et ne pas le vivre en interne. C’est aussi pour cela que nous avons pris des initiatives, que nous nous organisons en interne pour être dans une forme de « management digital ». Nous sommes en mode de fonctionnement projet qui mobilise de petites équipes, ce qui nous permet tout de même de sortir entre 8 et 10 innovations par an. Nous cherchons aussi à bâtir tout un écosystème autour de nous avec, notamment, le cabinet Roland Berger avec qui nous avons créé le fond d’investissement Augesco Ventures dans les start-ups et sur lequel nous travaillons autour du modèle de Media for Equity. Nous activons aussi notre plateforme de services aux entreprises Les Echos Solutions avec laquelle nous accueillons des start-ups pour leur faire bénéficier de notre visibilité… Si l’on reste dans notre coin sans s’ouvrir, cela ne fonctionne pas. C’est ce qui nous a occupé en 2016 et nous occupera beaucoup en 2017.
CB News : En s’attaquant franchement au numérique, n’est-ce pas également une façon de capter un lectorat plus jeune qui deviendra le lecteur fidèle de demain de vos titres ?
Christophe Victor : C’est vrai. C’était un de nos dilemmes stratégiques il y a deux ans. A cette époque, le lecteur des Echos le devenait à 35 ans. C’est pourquoi nous avons créé Les Echos Start (site dédié aux jeunes qui entrent dans la vie active lancé en septembre 2015, ndlr). Nous sommes aujourd’hui, en termes d’audience là où nous pensions être en 3ème année, avec près de 800 000 visites en septembre 2016 et une progression de 40% des visites entre septembre-décembre2016 vs la même période en 2015 (source AT Internet, ndlr). Le site a trouvé un ton et draine notamment des personnes qui vont entrer dans la vie active. Nous élargissons ainsi notre spectre, en montrant une image positive de l’économie et non pas la énième courbe du chômage ou encore le Brexit. L’enjeu c’est de donner envie et de montrer les opportunités. C’est ce que nous voulons mettre en avant.
CB News : Des projets concrets pour 2017 ?
Christophe Victor : Nous allons essayer de mieux packager l’idée des Echos partenaire de la transformation digitale, qu’ils s’agissent des services ou des contenus. Cela passera par une campagne de communication en avril prochain avec une nouvelle agence que nous venons de choisir. Pour nourrir ce message et ce positionnement, nous devrions aussi annoncer tout un ensemble d’initiatives entre avril et juin. Pour l’heure, c’est confidentiel. Le point d’orgues sera la seconde édition de Viva Technology que nous co-organisons avec le groupe Publicis qui se déroulera les 15,16 et 17 juin prochains. Pour le print, nous venons de publier la nouvelle formule de Capital Finance. Notre hebdomadaire Investir proposera aussi la sienne ce samedi. Le titre change de format, passant du tabloïd au berlinois, ce pour renforcer le côté statutaire. Une plus grande place est laissée à l’infographie, avec plus de couleur. La couverture des valeurs moyennes et de l’international est enrichie. Désormais, aussi, la côte sera en 2ème cahier. Ce qui était un souhait de nos lecteurs. Investir qui était essentiellement boursier il y a encore 4 ans, et depuis un an allait un peu plus vers le placement, s’y consacre désormais plus franchement. La fin de journal est donc renforcée significativement surcet axe avec 3 pages pouvant passer à un 5 ou 8 pages sur le sujet. Dans ce dernier cas, nous passerons en 3ème cahier. Notre volonté est de faire d’Investir un titre qui va gérer l’ensemble des placements. Une campagne de communication conçue par Pelham accompagnera cette nouvelle formule avec la signature : « Investir rapporte ». Nous assumons complétement le fait que nous faisons gagner de l’argent à nos lecteurs. Investir continuera à donner des conseils.
CB News : D’autres projets ?
Christophe Victor : Nous allons également beaucoup travailler en 2017 autour de différentes formules d’abonnements qui pourraient également inclure des services (data, études, participation à des événements, etc. Et puis, en fin d’année nous déménagerons dans de nouveaux locaux dans le 15ème arrondissement de Paris. Si je résumais notre stratégie, je dirais que pour chaque titre du groupe, c’est d’être un media et d’aller vers le service pour accompagner le client.
CB News : Période d’électorale oblige, Le groupe Les Echos sera-t-il plus particulièrement présent ?
Christophe Victor : Notre mission est le décryptage des programmes économiques. Sur mobile, nous faisons du fact-checking dans la foulée d’interventions politico-économiques via notre appli, nous avons lancé un serious game qui décortique les propositions de tous les candidats. Nous publierons fin mars, comme avant chaque élection présidentielle, un audit de la France, nous proposerons des sondages avec l’institut Elabe. Le tout irriguera le journal, le site…
CB News : Quels sont les résultats financiers du groupe Les Echos en 2016 ?
Christophe Victor : Le groupe Les Echos sera bénéficiaire en 2016, en croissance d’environ 8% et d’un peu plus de 2% à périmètre constant. Côté publicité, nous enregistrons un léger recul en 2016 vs 2015, plus particulièrement en fin d’année. Je tiens à cependant souligner que nous sommes l’un des rares groupes média à avoir eu un CA publicitaire positif entre 2012 et 2016 (+4,7%). Nous enregistrons aussi une forte progression de la publicité digitale (+14,6%) vs 2015 :, notamment sur la data. Les offres avec de la data représentent d’ores et déjà 20% de notre CA digital. Cette part devrait croitre encore. Et puis, pour la 6ème année consécutive, le quotidien Les Echos verra sa diffusion progresser. Pour 2017, la visibilité est réduite. Je pense que le 1er semestre ne devrait pas être très florissant, avec beaucoup d’attentisme.
CB News : Le groupe s’est montré plutôt offensif ces derniers mois contre les adblocks. Quel bilan tirez-vous de cette « lutte » ?
Christophe Victor : Nous sommes convaincus de la pérennité des modèles payants lorsque les contenus et les services sont de qualité. C’est la raison pour laquelle, sur le site des Echos nous proposons à nos lecteurs de participer à la monétisation des contenus produits par nos 180 journalistes, via la publicité en renonçant aux adblocks ou via le paiement d’un abonnement. Depuis près de 18 mois, nous avons multiplié les A/B testings avec, très vite, un parti-pris relativement radical d’un blocage strict dès le premier article consulté. En dépit de fortes disparités liées à l’actualité, aux referers , aux devices ou même aux jours et horaires de consultation, les résultats sont très encourageants et nous incitent à accélérer : pendant que le taux d’adblock moyen en France a progressé de + 6 points en 1 an (36% / Source IAB, ndlr), celui des Echos a baissé de -5 points.Fin 2016, nous avons même enregistré des semaines à -10 points vs 2015. Le taux de Whilisting est stable, aux alentours de 16% et le nombre de Pages vues « libérées » est d’environ 1,3 million/mois.
CB News : On peut observer depuis quelques mois une certaine crispation du marché autour de certaines thématiques telles que la mesure d’audience sur internet, sur la transparence, la visibilité, la fraude… sur l’attente liée à la signature du décret étendant la loi Sapin au digital ? Quel est votre sentiment ?
Christophe Victor : J’ai tendance à dire que tout ce qui se rapproche de la réalité est le bienvenu. A mes yeux, ce qui est important de mesurer c’est la permanence du retour d’un internaute sur le site, le temps d’exposition de celui-ci au site et la manière dont il le consulte. C’est ce qui est à valoriser. Il faut aussi que nous soyons tous très transparents vis-à-vis de nos annonceurs. Cela ne marche pas lorsqu’il existe une défiance. Quand on voit que de grands acteurs peuvent se tromper de plusieurs millions de visiteurs et qu’il n’y a quasiment pas de réaction(s)… Donc, tout ce qui va vers une plus grande transparence, des calculs plus efficaces, une réelle mesure de l’impact effectif me va. Tout cela me semble assez naturel et juste pour les annonceurs.
CB News : Quelles sont vos relations avec les GAFA ?
Christophe Victor : Nous travaillons notamment avec Facebook et son modèle Instant Articles avec notre site Les Echos Start. C’est encore anecdotique en termes de revenus même si c’est une voie intéressante. Le modèle gratuit y aide, c’est plus compliqué pour un modèle payant. Nous ne rejetons pas d’emblée, nous sommes prêts à regarder comment travailler avec eux à partir du moment où le modèle économique est équilibré. Je suis convaincu qu’ils ont besoin de nous car la qualité du contenu sur leurs fils va être un vrai sujet. L’information est tellement foisonnante, partout, que ce qui est de qualité, vérifié vaudra plus cher. Google et Facebook vont s’en rendre compte et feront de la place en rémunérant nos médias à hauteur de leur qualité. Il faut être attentif, ne pas tout accepter. La position défensive a priori n’est pas dans notre culture. Tout dépend du modèle économique que l’on arrive à trouver.
CB News : Certains éditeurs qui appellent à la fusion des places de marché Audience Square et La Place Media. Qu’en pensez-vous ?
Christophe Victor : C’est le sens de l’histoire me semble-t-il.