Antoine David (Rosbeef!) "on pense davantage offre et moins « com’ » ces jours-ci et ça nous va bien"
Nous confinons, encore sagement, et continuons nos entretiens matinaux, avec aujourd'hui celui d'Antoine David, co-fondateur et CEO, de l'agence Rosbeef!. Bien ficelé.
1) Vous continuez à émerger et à signer des campagnes, notamment pour Gémo. Est-ce une suite "logique" ou plutôt un "tour de force" ?
Antoine David : c’est une suite logique dans la mesure où on sort des campagnes en permanence ...« C’est ce qu’on fait dans la vie » après tout, donc il n’y a pas de raison que ça cesse. Mais tour de force également, car on ne peut pas prétendre ici, dans CB News, que « même pas mal ». Le contexte est flippant, il y a des incertitudes. Il faut redoubler d’efforts en interne pour bien communiquer, éviter les quiproquo... Et malgré cela, on voit que les équipes sont hyper engagées, hyper volontaires. Il y a beaucoup d’entraide, on prend des nouvelles les uns des autres, on avance sur des projets collectifs qui sont très enthousiasmants. Et comme la nature, la créativité reprend vite ses droits. Des gens de l’agence se sont réunis en « pro-ac » pour des associations qu’ils voulaient défendre. On a appelé ça le Proackathon et 4 associations « bénéficient » d’un don de l’agence, mais surtout d’une aide créative. Autre exemple ? Faute de pouvoir présenter la nouvelle collection Gémo en magasin, on a reconstitué une boutique dans le jeu du moment - Animal Crossing - avec une dizaine de looks que les joueurs peuvent essayer. On sort aussi un épisode hors-série sur notre podcast Baby Bien pour Babybio, avec des témoignages de parents confinés avec leurs bébés. C’est très contextuel et spontané tout ça. Mais bien entendu on avance surtout sur le fond avec des campagnes et des stratégies à long terme. C’est cette partie immergée de l’iceberg qui nous occupe le plus.
2) Qu'est-ce que vous entendez le plus parmi les besoins de vos clients ?
Antoine David : alors déjà ce qui est très appréciable c’est notre degré de proximité avec eux. On se parle beaucoup. Je m’attendais à ce qu’on soit un peu tous comme des lapins pris dans les phares d’une voiture...Mais non ! On est très agréablement surpris de voir à quel point tout le monde garde la tête froide et continue à avancer malgré les incertitudes. Certains de nos clients souffrent beaucoup, d’autres un peu moins, mais le moral tient bon. Il y a un grand niveau de confiance mutuel, et une détermination à trouver, au-delà des réponses créatives conjoncturelles que j’évoquais plus haut, des moyens d’assurer la pérennité, de se réinventer. On pense davantage « offre » et moins « com’ » ces jours-ci et ça nous va bien. On est heureux d’être intégré à ces réflexions. On a beaucoup été frustrés par le passé en proposant des innovations produits ou des services qui ne voyaient pas le jour. Là, le « mindset » a changé radicalement en quelques semaines et - étrangement - c’est comme ci, en tant qu’agence créative, notre participation à la réflexion business avait toujours été évidente et naturelle.
3) Est-ce que vous osez penser à "l'après" ? Entre fantasmes et réalité : comment se situer ?
Antoine David : les annonceurs, de manière générale, ont été poussés par leurs actionnaires à faire des « quick wins ». L’augmentation de PDM, même à la virgule, était souvent privilégiée sur la pérennité de l’entreprise, et donc sur son sens et sa pertinence. On était face à un monde qui laissait croire que les marques étaient éternelles sous prétexte qu’elles avaient une place sur les rayons de supermarchés. Aujourd’hui, on se rend compte - enfin - de nos vulnérabilités. Ça fait mal, mais c’est assez sain. J’ai été marqué par ce tweet en début de crise qui disait « il suffit qu’on ne se mette à consommer que ce dont on a besoin pour que l’économie s’écroule ». C’est très simpliste, mais le signal d’alarme est juste. Il faut rester humble - parce que clairement on ne sauve pas des vies - mais je pense - j’espère - qu’à l’avenir notre « industrie créative » sera davantage sollicitée pour « sauver » des business, aider des entreprises à s’inscrire dans la durée, plutôt que pour sauver des virgules de market shares ou de points de notoriété spontanée. On dit toujours aux annonceurs que notre job c’est de faire en sorte qu’ils soient là dans dix ans. Je pense que dorénavant on nous comprendra mieux. Sinon sur « l’après », de manière plus opérationnelle, on se dit « il faudra faire ci, s’organiser comme ça… » mais bien entendu ça relève du fantasme. On voit tellement de trucs sur LinkedIn, des prédicateurs de l’after-Covid. Mais c’est tellement creux, il y a des mots qui forment des phrases ... mais qui ne disent rien du tout. La réalité c’est qu’on ne sait rien. On doit juste accepter l’incertitude, accepter le chaos, continuer à faire ce qu’on sait faire. Et beaucoup écouter, regarder, pour affûter notre capacité d’improvisation et d’adaptation.
4) Votre imaginaire n'est pas confiné lui...Où va le vôtre ?
Antoine David : on doit être des millions à se dire « profitons du confinement pour laisser parler notre imaginaire ». Je ne sais pas pour les autres, mais en ce qui me concerne, c’est la « cata » : j’ai composé un début de morceau de musique lamentable, fait 2-3 dessins nullissimes, et vaguement improvisé des recettes de gâteaux à peine comestibles avec mes enfants. Mon imaginaire « perso » est un peu bouffé par mon imaginaire « pro ». Mais je note que l’imaginaire des gens de l’agence est très riche : il n’y a qu’a suivre les insta perso pour s’en rendre compte ah ah...