Réactions en chaine suite à la décision de Meta de cesser son programme de fact-checking aux Etats-Unis
Le patron de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) a annoncé mardi sa décision de cesser son programme de fact-checking aux Etats-Unis, estimant que "les fact-checkers ont été trop orientés politiquement et ont plus contribué à réduire la confiance qu'ils ne l'ont améliorée, en particulier aux Etats-Unis". Une nouvelle approche qui n'a pas été sans susciter bon nombre de réactions dans le monde. Revue de détail
Le Réseau international de fact-checking IFCN (International Fact-Checking Network) a ainsi réagi jeudi à cette idée que es fact-checkers ont été trop orientés politiquement et ont plus contribué à réduire la confiance qu'ils ne l'ont améliorée : "C'est faux et nous voulons rétablir la vérité, à la fois pour le contexte actuel et pour l'Histoire." L'IFCN est un réseau qui regroupe plus de 130 organisations, dont l'AFP. L'IFCN a également estimé que la fin du programme de fact-checking de Meta dans le monde causerait un "préjudice réel". "Si Meta décide d'arrêter le programme dans le monde entier, il est presque certain qu'il en résultera un préjudice réel dans de nombreux endroits", a estimé ce réseau. Parmi les plus de cent pays doté d'un programme similaire, certains sont "très vulnérables à la désinformation qui engendre de l'instabilité politique, des ingérences dans les élections, de la violence de masse et même des génocides", ajoute l'IFCN.
L'ONU monte au créneau
Réguler les contenus haineux et malfaisants en ligne "n'est pas de la censure", a affirmé pour sa part vendredi le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Volker Türk. "Autoriser" de tels discours "a des conséquences concrètes", insiste-t-il, appelant au passage à la responsabilité et à la gouvernance dans l'espace numérique, dans le respect des droits humains", a affirmé M. Türk, sur le réseau social X. Développant des arguments sur le réseau social professionnel LinkedIn, le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme a expliqué qu'"autoriser la haine en ligne limite la liberté d'expression et peut nuire dans le monde réel". Les réseaux sociaux "façonnent la société et disposent d'un immense potentiel pour améliorer nos vies et nous connecter" mais "ils ont également démontré leur capacité à alimenter les conflits, à inciter à la haine et à menacer la sécurité", a-t-il assuré. Et l'absence de réglementation "signifie que certaines personnes sont réduites au silence, en particulier celles dont les voix sont souvent marginalisées", a-t-il indiqué.
Interrogé sur la présence de l'ONU sur les réseaux X et de Meta, un porte-parole de l'ONU à Genève, Michele Zaccheo, a indiqué lors d'un point de presse que les Nations unies "surveillent et évaluent constamment cet espace" en ligne. "Il est important pour nous d'être présents avec des informations basées sur des faits, et c'est ce que nous défendons", a-t-il ajouté. "Nous ne savons pas encore comment cela va évoluer" mais "à l'heure actuelle, nous pensons toujours qu'il est important d'être présent sur ces plateformes, de présenter des informations fondées sur des preuves", a-t-il dit.
Le Conseil de l'Europe et les droits humains
Du côté du Conseil de l’Europe, la décision de Meta "pourrait avoir des conséquences négatives pour les droits humains", a prévenu le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Michael O'Flaherty. "Les plateformes ne doivent pas s'éloigner des faits, sinon elles créent un vide dans lequel la désinformation prospère sans vérifications et les dommages à la démocratie sont profonds." "Il est important de souligner que combattre les mensonges et empêcher que se répandent des messages violents ou haineux, ce n'est pas de la censure. Il s'agit d'un engagement à protéger les droits humains", poursuit-il. Le ommissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe "invite instamment les Etats membres à redoubler d'efforts et à faire preuve de leadership" dans la lutte contre la désinformation "en s'assurant que les intermédiaires sur internet atténuent les risques systémiques de désinformation et de discours non contrôlés". "Cela inclut de demander davantage de transparence dans les pratiques de modération des contenus, y compris dans le déploiement de systèmes algorithmiques", poursuit M. O'Flaherty. "L'objectif est de protéger les droits humains pour tous en trouvant un équilibre qui préserve la liberté d'expression dans ses limites bien établies."
La « vérité compte » pour Joe Biden, il y a "censure" pour Mark Zuckerberg
Le président des Etats-Unis pour quelques jours encore Joe Biden a jugé vendredi "honteux" l'arrêt de ces activités de fact-checking de la part de Meta. "La vérité compte", a-t-il déclaré lors d'un échange avec des journalistes à la Maison Blanche. "C'est totalement contraire à tout ce qui constitue l'Amérique. Nous voulons dire la vérité", a encore insisté Joe Biden. La sortie du président américain rappelle que son administration a souvent adopté un ton sévère en ce qui concerne la responsabilité des réseaux sociaux dans la propagation des fausses informations et des discours de haine. Le démocrate lui-même avait par exemple lâché en juillet 2021 que les plateformes telles que Facebook "tuaient des gens", en référence à la circulation d'informations mensongères sur les vaccins contre le Covid-19. Les propos sont restés en travers de la gorge de Mark Zuckerberg, qui a de son côté à nouveau accusé les équipes de Joe Biden de censure, dans la dernière émission du podcast de Joe Rogan, publiée vendredi. Il a raconté qu'au début de la pandémie il faisait confiance à l'administration et aux autorités sanitaires, mais qu'il était ensuite devenu "difficile de suivre" quand le gouvernement démocrate mettait en place son programme de vaccination. "Ils ont aussi essayé de censurer tous ceux qui s'y opposaient, et ils nous ont poussés à supprimer des choses qui étaient honnêtement vraies (...) et des vidéos humoristiques", a-t-il affirmé à l'animateur conservateur et ultra populaire. "Des personnes du gouvernement de Biden appelaient nos équipes et leur criaient dessus", a raconté le fondateur de Facebook, qui multiplie les avances à Donald Trump depuis son élection. Mark Zuckerberg a ajouté que les propos du président démocrate, affirmant que les réseaux sociaux "tuaient des gens", avaient représenté un tournant pour lui. "Toutes ces différentes agences et branches du gouvernement ont commencé à enquêter
L’OMS réagit également
Présente au point de presse, une porte-parole de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Margaret Harris, a renchéri : "Notre rôle est de fournir de bonnes informations scientifiques sur la santé, et nous devons le faire là où les gens les cherchent" et "nous seront donc présents sur toutes les plateformes, dans la mesure du possible".
Le Brésil menace Meta
Le Brésil a quant à lui sommé vendredi Meta d'expliquer sous 72 heures les conséquences dans le plus grand pays d'Amérique latine de son revirement sur le fact-checking, exigeant que soient protégés les "droits fondamentaux" des citoyens sur les plateformes. "En raison de l'absence de transparence de l'entreprise, le gouvernement va présenter une notification extra-judiciaire" et Meta aura "72 heures pour informer en quoi consiste exactement sa politique pour le Brésil", a déclaré à des journalistes Jorge Messias, avocat-général de l'Union, chargé de la défense des intérêts juridiques de l'Etat brésilien. Si le groupe américain ne répond pas dans les délais impartis, "des mesures légales et juridiques seront prises", a-t-il ajouté. Plus tôt dans la semaine, le parquet fédéral de Sao Paulo avait donné 30 jours à Meta pour expliquer si la décision de cesser le programme de fact-checking aux Etats-Unis "s'appliquera ou non au Brésil", afin d'en "évaluer" l'impact éventuel. Le président brésilien Lula a reçu vendredi un appel téléphonique de son homologue français Emmanuel Macron, avec qui il est convenu que "la liberté d'expression n'est pas synonyme de liberté de propager des mensonges, des préjugés ou des insultes". "Ils ont tous deux considéré comme positif le fait que le Brésil et l'Europe continuent à travailler de concert pour empêcher que la désinformation ne mette en péril la souveraineté des pays, la démocratie et les droits fondamentaux des citoyens", a fait savoir la présidence brésilienne dans un communiqué. "Toutes les entreprises installées dans notre pays doivent respecter la loi brésilienne", a martelé Lula sur le réseau social X. Jorge Messias a fait part de l'"énorme préoccupation du gouvernement brésilien", jugeant que Meta "ressemble à une girouette, qui change tout le temps de direction au gré du vent". "Nous n'allons pas permettre que les réseaux donnent lieu à un carnage numérique", a-t-il tonné.
Dans sa notification extra-judiciaire, consultée par l'AFP, le gouvernement a demandé des "clarifications" sur la façon dont les changements annoncés pourraient affecter "la promotion et la protection des droits fondamentaux". Le Brésil demande plus précisément "quelles mesures seront adoptées" par Meta pour endiguer des contenus racistes, homophobes, transphobes ou incitant à la violence contre les femmes, et pour protéger enfants et adolescents. Le débat sur liberté d'expression et réseaux sociaux est particulièrement sensible au Brésil. La plateforme X (ex-Twitter), concurrente de Meta, a été suspendue pendant quarante jours l'an dernier sur ordre de la Cour suprême, pour non-respect d'ordres judiciaires liés à la lutte contre la désinformation.
Le SPIIL et les "considérations idéologiques"
Le Syndicat de la Presse Indépendante d'Information en Ligne (Spiil), a dénoncé dans un communiqué la fin du programme de fact-checking du groupe Meta (Instagram, Facebook...). Pour l’instant, l’annonce faite par le fondateur du groupe américain Mark Zuckerberg ne concerne que les États-Unis. Mais le Spiil se dit inquiet de l’extension de cette mesure en Europe. “Dans un contexte de prolifération des fausses informations accélérée par les plateformes numériques, le Spiil souhaite réaffirmer le caractère irremplaçable des actions de vérification de l’information réalisées par des journalistes professionnels pour rapporter les faits et éclairer le jugement des citoyens.”
Pour le syndicat qui réunit 270 éditeurs de presse, “la volonté de Meta de mettre fin à sa coopération avec un réseau de 90 organisations certifiées apparaît dictée avant tout par des considérations idéologiques”. L’annonce de Mark Zuckerberg a eu lieu en amont de l’investiture le 20 janvier du président américain Donald Trump. Depuis l’élection du président, Meta a nommé des proches du républicain au sein de son groupe.
Le syndicat met en avant l’application “indispensable” du Digital Services Act (DSA) par la Commission européenne. Entré en vigueur le 17 février 2024, ce règlement soumet les services numériques à un ensemble d’obligations. Si cela ne suffit pas à faire plier les géants du numérique, le Spiil “appelle les États et l’Union européenne à avoir le courage de suspendre leur activité”, citant l’exemple du Brésil qui a récemment suspendu X pendant plusieurs semaines.