Interdire les réseaux sociaux aux enfants : une promesse délicate

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Une interdiction des réseaux sociaux avant 14 ou 16 ans : l'objectif posé mardi par le Premier ministre australien ressemble à celui d'autres pays occidentaux engagés sur la même voie, sans solution technique évidente jusqu'ici.

Pourquoi certains pays souhaitent-ils une interdiction ? Selon Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université française de Nantes "deux grandes clés d'explication" existent. Il pointe une "évolution de la connaissance" des réseaux sociaux et de leur modèle économique qui repose sur une captation de l'attention: "On sait aujourd'hui que, derrière, il y a des algorithmes et, surtout, des stratégies de monétisation qui posent des problèmes de santé publique". S'agissant de gouvernements conservateurs, l'universitaire souligne également une "peur intrinsèque des mouvements de jeunesse", liée à leur "puissance" et leur "capacité de mobiliser en masse", qui peut conduire à une volonté de contrôle.

Quels pays ont interdit les réseaux aux plus jeunes ? "Il n'y a aucune démocratie qui a, aujourd'hui, les outils techniques et juridiques et des lois qui permettraient d'interdire l'accès d'une classe d'âge à un média, un réseau social ou autre", constate Olivier Ertzscheid. S'agissant de l'Australie ou encore du Royaume-Uni, les déclarations en faveur d'une interdiction ne sont à l'heure actuelle pas traduites dans la loi. En Floride, la loi interdisant l'ouverture d'un compte aux moins de 14 ans et requérant un accord parental pour les adolescents âgées de 14 et 15 ans devrait entrer en vigueur en janvier 2025. L'Espagne a également voté en juin une loi interdisant l'accès des moins de 16 ans aux réseaux sociaux. Mais, dans ces deux cas, la méthode de vérification d'âge n'a pas encore été déterminée. En France, une loi votée en juin 2023 a instauré une "majorité numérique" à 15 ans mais celle-ci n'est pas encore entrée en vigueur, dans l'attente d'une réponse de la Commission européenne sur sa conformité de la loi au droit européen. Le pays expérimente aussi depuis la rentrée 2024 une "pause numérique" dans quelque 180 établissements scolaires, obligeant 50.000 collégiens (de 11 à 15 ans) à déposer leur téléphone portable à leur arrivée. Le cas des "pays totalitaires" offre de rares exemples d'interdictions efficaces car internet y est étroitement contrôlé par l'État. La Chine, qui a instauré des mesures de restriction d'accès pour les mineurs depuis 2021, exige ainsi l'identification via un document d'identité. Les moins de 14 ans ne peuvent passer plus de 40 minutes par jour sur Douyin, la version chinoise de TikTok, et le temps de jeu en ligne des enfants et adolescents est limité.

Quelles sont les difficultés d'une telle interdiction ? Pour Olivier Ertzscheid, la mise en oeuvre de ces mesures soulève essentiellement des problèmes de compatibilité entre droit et technique. "Juridiquement, cela existe déjà: quand vous vous enregistrez sur une plateforme, on vous demande votre âge", souligne-t-il. Mais, pour instaurer un contrôle efficace, "on est obligé d'ouvrir une brèche dans le domaine du respect de la vie privée", estime l'enseignant. Certaines applications, comme le réseau social français Yubo, font appel à la société britannique Yoti, qui a développé un système d'évaluation de l'âge à partir d'une photo, fondé sur l'intelligence artificielle. Mais le déploiement de ces outils reste rare car, au-delà de leurs aspects techniques, ils doivent être conformes à des exigences légales. Garante des droits des Français, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) signale ainsi que le contrôle de l'âge conduit "à collecter des données personnelles et présente des risques pour la vie privée". Conformément au Règlement européen de protection des données (RGPD), des outils comme la reconnaissance faciale voient aussi leur usage très limité. S'agissant des "tiers de confiance", qui permettraient d'authentifier l'âge d'un utilisateur sans communiquer son identité auprès du réseau social, "de plus en plus de financements publics comme privés sont engagés sur ce type de solution", constate le chercheur.

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