CES de Las Vegas : les innovations sont toujours et plus que jamais au programme
Le Consumer Electronics Show qui s’est déroulé dans l’Etat américain du Nevada, du 7 au 10 janvier dernier, a comme à son habitude eu son lot de présentations en cascade. Au menu, les nouveautés et les innovations qui nous font toucher du doigt ce que sera peut-être demain…
Après des décennies d'insouciance, le secteur technologique, réuni au salon CES de Las Vegas, commence à chercher des solutions à ses énormes besoins en énergie, démultipliés par l'émergence du "cloud" et de l'intelligence artificielle (IA). "S'il y a cinq ans, on m'avait proposé de faire le CES, je n'aurais pas forcément vu le sens", reconnaît Sébastien Fiedorow, patron d'Aerleum, une start-up française qui fabrique du carburant de synthèse à base de CO2 et d'hydrogène. "Mais je pense qu'on est dans un CES très différent d'il y a cinq ans", dit le jeune entrepreneur présent pour la première fois à Las Vegas. "On est encore un peu à la marge, mais on est quand même là. C'est une bonne première opportunité." Pour la première fois de son histoire, le Consumer Electronics Show a ajouté cette année une thématique "transition énergétique" à son offre. Gary Shapiro, président du CTA, l'association professionnelle qui organise le CES, en parle comme d'un "grand sujet d'attention" pour le salon. "Nous avons organisé une réunion, il y a un peu plus d'un an, avec les énergéticiens et les acteurs l'écosystème électronique" , dit-il, car "nous sommes préoccupés par le fait de savoir d'où va venir l'électricité" pour répondre à l'augmentation de la consommation. Selon le ministère américain de l'Energie (DOE), les centres de stockage de données (data centers) ont pesé 4,4% des besoins en électricité des Etats-Unis en 2023. Le DOE s'attend à ce que cette part monte jusqu'à 12% d'ici 2028, sans compter l'impact de l'électrification de l'économie, des voitures à l'industrie, en passant par l'agriculture. "On a fait beaucoup sur le plan de l'efficacité énergétique" des appareils électroniques, souligne Gary Shapiro, mais "on a besoin de solutions innovantes du côté de la production d'énergie". Au CES, beaucoup de ceux qui développent ces technologies sont venus d'Europe.
"Le fait qu'on soit là veut clairement dire quelque chose", considère Satish Jawalapersad, directeur général de la Néerlandaise LV Energy, qui génère de l'électricité à partir du bruit et des ondes. "Dans ma description, vous ne m'avez pas entendu dire IA", glisse-t-il dans un sourire après avoir présenté l'activité de son entreprise. "Nous ne sommes pas les plus sexy. Le mot magique ici, c'est IA." Si Aerleum a reçu des marques d'intérêt d'industriels américains, une autre start-up, DataGreen, n'a pas eu de nouvelles des géants du "cloud" (informatique à distance), alors qu'ils disent pouvoir diviser par dix la surface nécessaire à un data center. "Pour l'instant, ils ne voient pas l'intérêt encore, mais on essaye de convaincre", résume Julien Choukroun, responsable IA de cette jeune pousse française qui a pourtant reçu un prix de l'innovation pour sa première visite au CES. "On ne peut plus continuer à augmenter les espaces de hangars (qui abritent les centres de données), ce n'est pas infini." "On axe nos points forts sur la réduction de l'espace", dit-il. "Ça peut augmenter les revenus (des grands acteurs du cloud). Et aussi l'utilisation de la chaleur" dégagée par les serveurs des centres de données, que DataGreen dit pouvoir réutiliser à 98%. "Ça peut les convaincre, plus que le green", en référence à la réduction de l'impact sur l'environnement, affirme Julien Choukroun.
Jordan Huyghe, du spécialiste des petits réacteurs nucléaires (SMR) Otrera, sait que les Amazon, Microsoft ou Google ont les moyens de changer la donne énergétique. Amazon est déjà le premier acheteur mondial d'énergie renouvelable et Microsoft vient de signer un contrat qui va mener à la réouverture de la centrale de Three Mile Island, en Pennsylvanie. "Pour pouvoir avancer sur des projets comme ceux-là, il faut lever des fonds", dit le responsable produit d'Otrera. "Donc les solutions peuvent venir de là. Ils peuvent mettre des billes." "L'industrie du cloud? Ils ne nous parlent pas", constate Satish Jawalapersad, qui verrait pourtant bien sa technologie leur servir. "Les data centers font beaucoup de bruit", rappelle-t-il. "Nous pourrions le capter et le leur restituer sous forme d'énergie." Le dirigeant fait néanmoins état "de nombreuses pistes" avec d'autres clients potentiels aux Etats-Unis. Même si elle est encore timide, Sébastien Fiedorow voit dans cette ouverture du CES un signal important. "On produit des carburants et on a une technologie qui est loin du Consumer Electronic Show", reconnaît-il. "Cela démontre que l'état d'esprit est en train de changer."
CES, salon de l’érotisme ?
Le CES de Las Vegas, longtemps réticent à ouvrir ses stands au monde de l'érotisme, a développé un espace réservé aux technologies au service de l'intimité, avec quelques curiosités à découvrir. "Les réactions des visiteurs sont géniales", assure Craig Mewbourne, de la société américaine Motorbunny, qui présente une application pour mordus de jeux vidéo, dans cette grand-messe mondiale des technologies. "Fluffer" lie plaisir intime et univers vidéoludique, en synchronisant sans fil les actions dans un jeu vidéo avec n'importe quel sextoy équipé de Bluetooth. "Les gens veulent vraiment comprendre la technologie qui se cache dessous, et pas juste mater", ajoute son promoteur. Être présent au CES a pris plusieurs années pour Motorbunny et la possibilité d'avoir un stand à l'événement a été assortie de contraintes très précises. En 2019, le salon avait été au centre d'une polémique après avoir retiré une récompense à un sex toy, jugeant ce masseur personnalisé "immoral" et "obscène" avant que la distinction ne soit finalement rendue et l'accessoire érotique exposé l'année suivante. Pourtant, pointe M. Mewbourne, on "voit énormément de similarité en termes de sérotonine, dopamine et endorphine (les hormones considérées comme procurant du plaisir, NDLR), entre le fait de jouer aux jeux vidéo et d'avoir des rapports intimes".
... Même le camion poubelle est intelligent...
Sans transition, un nouveau camion poubelle intelligent présenté au salon technologique CES identifie les batteries inflammables dans les déchets recyclables qu'il ramasse, pour éviter des feux de plus en plus fréquents. L'entreprise américaine de collecte Republic Services a commandé plusieurs de ces engins fabriqués par le géant des véhicules utilitaires Oshkosh et dévoilés à Las Vegas. Les deux partenaires cherchent à traiter le flux des batteries au lithium déposées au recyclage, qui sont présentes dans de très nombreux appareils, du smartphone au jouet pour enfant, en passant par les montres ou le vélo électrique. La Commission de protection de la sécurité des consommateurs (CPSC) a fait état de 25.000 incidents incluant la surchauffe ou l'inflammation d'une batterie au lithium aux Etats-Unis entre 2017 et 2022. La surchauffe de ces batteries peut déclencher un phénomène dit d'emballement thermique, une réaction en chaîne susceptible de provoquer la diffusion de gaz toxiques, des explosions et des projections. Un incendie de batterie est souvent difficile à éteindre par des professionnels du feu. Même en cas d'extinction totale, il existe un risque de redémarrage dans les heures qui suivent. Les batteries au lithium doivent théoriquement être déposées dans des points de collecte spécifiques et ne jamais être mêlées à d'autres déchets. Dans la nuit de mercredi à jeudi, un incendie s'est déclaré dans un centre de recyclage à Jersey City (New Jersey), dont le propriétaire a attribué la cause à des batteries. "Chaque année, quelques sites de recyclage brûlent" aux Etats-Unis, explique Jon Vander Ark, patron de Republic Services. Le camion électrique d'Oshkosh est équipé d'intelligence artificielle (IA) qui détecte la présence de batteries dans un chargement. Le conducteur peut alors le signaler au centre où il se rend. "Sortir ces éléments du flux des déchets, c'est énorme pour nous", insiste Jon Vander Ark.
Le logiciel est capable de détecter tout objet non recyclable à l'intérieur de sa benne, ce qui permet notamment à l'entreprise de collecte de démasquer les contrevenants. Oshkosh a aussi posé des caméras sur son véhicule, lesquelles filment le ramassage et documentent les difficultés que peuvent rencontrer les éboueurs. "Quand un client demande pourquoi nous n'avons pas ramassé" ses déchets, décrit Jon Vander Ark, "nous avons la preuve en vidéo" montrant que le site n'était pas accessible.
Des innovations pour des modèles de plus en plus discrets
Traducteur, GPS, caméra, projecteur, les fabricants de lunettes connectées multiplient les innovations avec des modèles de plus en plus discrets pour tenter de faire la différence sur un marché très concurrentiel. "On voit énormément d'appareils connectés et de plus en plus d'entre eux se portent sur le visage", observe l'analyste Avi Greengart, du cabinet Techsponential, en marge du salon technologique CES, où une bonne dizaine de fabricants de lunettes "intelligentes" sont présents. Finies les protubérances inesthétiques comme sur les vénérables Google Glass, les montures massives et le fil de raccordement des Moverio d'Epson, deux pionniers apparus au début des années 2010. Les "smart glasses", toutes synchronisées avec une application de smartphone, ressemblent de plus en plus à des lunettes ordinaires, à l'instar des Ray-Ban Meta, le modèle le plus populaire actuellement. Au-delà de l'apparence, la croissance du marché "est tirée par les progrès de la réalité augmentée, de l'intelligence artificielle (IA) et de la miniaturisation technologique, qui repoussent les limites de ce que ces appareils peuvent faire", selon une étude récente du cabinet MarketsandMarkets. Dans cette industrie encore naissante, tout est affaire de positionnement, l'aspiration à cacher la technologie dans des modèles de plus en plus passe-partout nécessitant de faire des choix quant aux fonctionnalités proposées. Les Ray-Ban Meta peuvent ainsi prendre des photos et des vidéos, jouer de la musique ou donner des informations sur des objets dans le champ de vision. Mais elles n'offrent pas de réalité augmentée, c'est-à-dire d'images surimposées. Il n'en est pas question à moyen terme, explique Robin Dyer, représentante de Meta : "je pense que lorsqu'ils y viendront, cela doublera probablement le prix".
Le prix, c'est l'autre nerf de la guerre sur ce marché qu'ont pris d'assaut de nombreux acteurs chinois. Si, en 2013, les Google Glass se vendaient environ 1.500 dollars pièce, certaines "smart glasses" sont aujourd'hui à peine plus chères que des montures ordinaires. Beaucoup de Ray-Bans sont proches de 250 dollars, souligne James Nickerson, représentant de Meta. Les Ray-Ban Meta "sont à partir de 300. C'est 50 dollars de plus. Donc, pourquoi pas? On aura une caméra sympa avec." La start-up californienne Vue va a un prix d'entrée de 200 dollars, pour des lunettes moins avancées mais qui permettent de communiquer oralement avec un assistant vocal ou d'écouter de la musique. D'autres fabricants ont choisi de privilégier la réalité augmentée (AR), comme XReal, dont les lunettes projettent l'écran de votre smartphone, ordinateur personnel ou console de jeux. Les avancées technologiques autorisent à s'éloigner du look casque pour s'approcher de celui de lunettes de soleil classiques, même si elles nécessitent de raccorder un câble à l'appareil connecté. Meta ambitionne de lancer sa version, l'Orion, actuellement en phase de test mais dont la commercialisation n'est pas attendue avant 2027, au mieux.
Even Realities et Halliday ont, eux, choisi de mettre au point des lunettes très fines, impossibles à différencier des montures de base, tout en offrant de la réalité augmentée utilitaire. "Notre vision, c'était que si on voulait bien faire des lunettes connectées, il fallait avant tout qu'elles aient l'air cool", décrit Carter Hou, numéro deux de Halliday. Les "smart glasses" de cette start-up singapourienne font apparaître du texte dans le coin supérieur du champ de vision. Par ce biais, les lunettes, qui seront disponibles en mars à 489 dollars, peuvent, grâce à l'IA, suggérer une réponse à une question posée par un interlocuteur lors d'une discussion, sans même avoir été sollicitées. Halliday offre aussi la traduction en temps réel, toujours lors d'un échange verbal, ou un prompteur pour un présentateur qui peut lire ses notes sans que l'auditoire ne se doute de rien. "Nous avons voulu prendre une voie différente" de beaucoup de concurrents, justifie Tom Ouyang, d'Even Realities, dont le produit présente ainsi de nombreuses similarités avec celui d'Halliday. "Pas de haut_parleur, pas de caméra", dit-il. "Les lunettes, c'est fait pour les yeux, pas pour les oreilles." De manière générale, pour Avi Greengart, ce que les lunettes connectées "proposent est utile, c'est un grand pas en avant pour ce marché".