L'Australie veut obliger les géants du numérique à payer pour les contenus médias qu'ils relaient
"Il est important que les plateformes numériques jouent leur rôle", insiste la ministre des Communications Michelle Rowland
A la suite de l'UE et du Canada, l'Australie veut obliger Meta (Facebook, Instagram) et Google à payer pour les contenus d'information relayés sur leurs plateformes en versant une compensation aux médias, une façon de soutenir une presse exsangue dont fondent les recettes publicitaires. "Il est important que les plateformes numériques jouent leur rôle. Elles doivent soutenir l'accès à un journalisme de qualité qui informe et renforce notre démocratie", a martelé la ministre des Communications Michelle Rowland en dévoilant jeudi le dispositif envisagé.
Alors que les rédactions traditionnelles luttent souvent pour leur survie, la manne de leurs revenus publicitaires étant accaparée par le web, Canberra souhaite que les géants de la tech accordent une rémunération aux médias dont les contenus sont diffusés sur leurs plateformes. Plus de la moitié du public australien s'informe désormais sur les réseaux sociaux, selon une étude de l'université de Canberra. Conséquence : des centaines de journalistes australiens ont perdu leur emploi ces dernières années suite à des fermeture de journaux et des réductions d'effectifs des entreprises de médias.
Echec du volontarisme
"La croissance rapide des plateformes numériques ces dernières années a bouleversé le paysage médiatique australien et menace la viabilité du journalisme d'intérêt public", fait valoir Mme Rowland. Les plateformes numériques dont les revenus annuels en Australie dépassent 160 millions de dollars américains se verraient imposer une taxe destinée au financement des médias... mais pourront en être exemptés s'ils concluent des accords rémunérant les "droits voisins" avec les médias australiens. Selon le gouvernement, les sociétés mères de Google, Facebook et TikTok seront probablement concernées, mais X pourrait y échapper en raison de revenus australiens en-deçà du seuil retenu.
Le pays avait d'abord misé sur le volontarisme des "Gafam": en 2021, Google et Meta avaient conclu une série d'accords avec des rédactions australiennes pour les soutenir à hauteur de 160 millions de dollars américains au total. Mais Meta a indiqué qu'il ne renouvellerait pas ces accords lorsqu'ils expireront en mars, arguant que les informations d'actualité ne représentent qu'une infime partie de son trafic. L'Australie "fait payer un secteur pour en subventionner un autre (...) la proposition ne tient pas compte des réalités du fonctionnement de nos plateformes", a fustigé jeudi un porte-parole de Meta.
Des précédents ailleurs
L'Australie emboîte le pas à l'Union européenne, qui a adopté dès 2019 une directive sur les "droits voisins": celle-ci doit permettre aux médias --journaux, magazines ou agences de presse-- de se faire rémunérer lorsque leurs contenus sont réutilisés par les géants du numérique. Mais la mise en oeuvre s'est avérée ardue, et les contentieux se multiplient pour tenter de faire valoir ceux-ci. Outre les réseaux sociaux, Google était aussi ciblé en raison des titres et extraits d'articles apparaissant dans les résultats de son moteur de recherche ainsi que via ses services Google Actualités et Discover. Google a récemment riposté en retirant les contenus de médias dans ses résultats de recherche dans plusieurs pays européens --une "expérimentation" à laquelle il a renoncé en France sur décision de justice, après avoir déjà essuyé dans le pays une lourde amende de l'autorité de la concurrence. Accusé de mauvaise foi dans ses négociations sur les droits voisins, X (anciennement Twitter) a pour sa part été attaqué en novembre devant la justice française par des journaux comme Le Monde, Le Figaro ou Le Parisien, et par l'Agence France-Presse.
De son côté, le Canada a voté en juin 2023 une législation similaire contraignant les géants de la tech à compenser les médias canadiens pour les contenus partagés, sous peine d'arbitrage contraignant. En réponse, Meta a bloqué l'accès aux médias canadiens pour les utilisateurs de Facebook ou Instagram, afin d'éviter d'avoir à l'appliquer, provoquant un tollé général. S'appuyant sur ces précédents, le dispositif australien est conçu pour empêcher les groupes tech de faire simplement disparaître les contenus de média de leurs plateformes.