Le "best of" post Cannes Lions de Charles Pivot (Artefact 3000)

Charles Pivot

Qu'est ce que Charles Pivot a retenu des Cannes Lions cette année ? Pour CB News, le lead créatif d'Artefact 3000 - en team avec le DA Charles-Antoine de Sousa - a minutieusement décortiqué les campagnes qui ne l'ont pas laissé indifférent. 

Clash of clans – Clash from the past (Entertainement Grand Prix)

Au jeu des Cannes Lions, il n’est pas rare de voir des prix glorieux honorer des campagnes pour des associations ou des grandes causes (parfois plus grandes que les idées elles-mêmes…) mais qui, c’est vrai, ne reflètent pas le travail quotidien des agences. En fait, des prix qui ne récompensent pas des campagnes dont l’objectif est de vendre un produit ou un service. Ce n’est pas le cas de cette campagne « Clash from the past » pour le jeu mobile Clash of Clans qui rafle (et ça fait sacrément plaisir à voir !) le Grand Prix Entertainement.

Cette campagne c’est une mandale de barbare en plein dans la gueule. D’abord, elle part d’un brief : « On fait quoi pour les 10 ans du jeu Clash of Clans ? ». Bien entendu, « faut dire que le jeu est super ; la campagne doit raviver la flamme dans le cœur de joueurs réguliers, avoir le goût d’une délicieuse madeleine de Proust, mais aussi créer de l’envie auprès des gamers qui ne connaissent pas la licence… ». Bref, imposer le jeu comme une icône du genre. Mais comment un jeu mobile né avec le smartphone pourrait prétendre à pareil statut à côté de jeux vidéo tels que Mario, Zelda ou Sonic ? Des jeux qui ont fait notre enfance et sont entrés dans notre pop-culture ? La réponse des créatifs : réécrire l’Histoire. Ni plus, ni moins. Alors pour les 10 ans de la licence, Clash of Clans a décidé de célébrer… ses 40 ans !

Le vrai coup de génie n’est autre qu’un faux documentaire sur le jeu, à la sauce Netflix. Un contenu vidéo de 20 minutes et 22 secondes (20 minutes et 22 secondes !!) qui retrace l’histoire du jeu dans un monde où ce dernier serait né en 1982. Le documentaire nous raconte, caméra au poing, une belle histoire, à la fois drôle et touchante, sur les concepteurs du jeu : un groupe de trois copains geeks dont le rêve était de faire un jeu vidéo amusant. On découvre leurs débuts dans le sous-sol de la maison des parents, le succès fulgurant du jeu dans les salles d’arcade, puis sa descente aux enfers, l’avènement d’une licence surexploitée par cupidité, l’histoire de la suite de trop, l’égarement de ses concepteurs avant une ultime rédemption.

Et ce qui est dingue, c’est que jusqu’à la dernière seconde ce documentaire apparaît comme authentique ; pas de « en fait, c’était une blague ! » ou de « packshot spécial 10 ans ». Non-non-non : la fiction crée le doute, presque une nouvelle réalité sur internet. Et ce n’est pas tout ! Pour rendre cette histoire encore plus crédible, la marque est allée jusqu’à créer de fausses versions rétro du jeu en 2D et a réalisé des partenariats avec des marques pop-culture des 80’s pour faire du merchandising (des cartes à collectionner, des tee-shirts et… des packs de céréales ?!?). Le prank est sérieux. Il fait réagir les gamers dont les questions s’emballent sur les réseaux sociaux.

On savoure le pop-corn en lisant les commentaires, on fustige, on s’insurge, on en vient même à se demander si le multivers existe. Une chose est sûre : le fake de Clash of Clans parvient à lancer une conversation populaire. In fine, cette campagne est une masterclass de brand-content. Ce qui est récompensé, c’est une prouesse de craft, comme un spectacle enregistré sur cassette VHS qu’on regarde avec des yeux d’enfant, un travail de création massif et jusqu’au-boutiste qui forge pour le jeu une véritable mythologie. En somme, une campagne brillante qui nous rappelle que c’est pour raconter ce genre d’histoires qu’on fait ce métier. Si vous n’avez pas vu le documentaire « Clash from the past », installez-vous confortablement et cliquez ici. [ndlr : la campagne a été pensée par l'agence Wieden+Kennedy].

HONDA – The beautiful fail (Gold)

Il faut savoir être un bon joueur et reconnaître le beau labeur quand on le voit, même quand ce dernier vient d’une agence française concurrente que je ne citerai pas pour des raisons évidentes de rivalité et de jalousie. Non je rigole, bravo aux équipes de DDB Paris pour cette magnifique campagne Honda. Après tout, elle fait rayonner la France sur la scène internationale, alors pourquoi ne pas réveiller un peu notre esprit chauvin et saluer l’œuvre de nos voisins en criant « cocorico » ?

Plus sérieusement, je trouve que cet ouvrage fait du bien au palmarès car il nous rappelle quelques trucs qui font une bonne création. Des essentiels. D’abord, des belles images : des captures d’instants sur le vif, d’ombres et de lumières qui nous plongent dans l’univers tendu du circuit moto du Mans. On peut sentir la vitesse des machines autant que l’odeur de l’asphalte qui brûle les narines, on peut presque voir la peur dans le ventre des pilotes. Un vertige en noir et blanc. C’est un vrai travail de photographie qui, de surcroit, est magnifié par une technique d’impression sérigraphique unique en son genre : une encre crée à partir de l’huile moteur des motos Honda qui ont couru aux 24H Moto du Mans 2022. Ici, le medium fait partie intégrante de l’histoire qu’on nous raconte : une ode à l’échec. L’épopée de la course de Honda Moto qui n’atteint que la troisième marche du podium, ratant de peu le titre de meilleur constructeur de l’histoire du Mans. Enfin, il y a les mots. Trésors des trésors.

En tant que concepteur rédacteur, je ne peux que saluer le travail de rédaction de cette campagne : « Lap 195. 20 :42. Pourvu que seule la nuit tombe. ». « Lap 485. 04 :58. À 308 km/h, Gino Réa réduit la distance entre lui et son rêve d’enfant. ». « Lap 677. 10 :42. Di Meglio se fait doubler par ses démons intérieurs. »… Quels mots ! Ils sont dramatiques, poétiques, ils nous percutent comme des balles. Ou plutôt des motos Honda lancées à plus de 300 km/h. Une belle campagne de beaux mots, c’est tellement rare que c’est précieux. Encore plus aujourd’hui, à l’ère de l’IA toute puissante. Voilà la leçon de craft que nous donne cette campagne : des belles images et des beaux mots, ça vaut de l’or.

[ ndlr : En plus d'avoir reçu un gold en industry craft, la campagne a reçu 4 étoiles au hit parade de CB News en avril5 Or et 1 Silver au Club des D.A]

Visit Island – OutHorseYourEmail.com (Shortlist)

L’intérêt de Cannes, en plus des soirées et des prix, c’est de voir passer quelques ovnis créatifs inspirants qu’on ne voit nulle part ailleurs. Et pour cause, il y a tant de travaux qui viennent des quatre coins du monde… durant l’année, on passe forcément à côté de bon nombre d’entre eux.

J’ai eu la chance de faire une rencontre du troisième type cette année, en vivant mon « premier Cannes ». Je marchais dans le palais des festivals, flânant dans ces couloirs où les meilleures créations internationales sont exposées sur les murs telles des pièces de musée. Des tonnes de planches présentaient les campagnes, celles qui glanaient les prestigieux Lions… et les autres. C’est là que j’ai vu cet ovni : OutHorse Your Email. Une campagne qui a « seulement » passé les fameuses shortlists. À ma connaissance, elle n’a rien gagné, sinon mon rire gras en la découvrant. Mais c’est aussi ça une bonne pub, non ? Une bonne blague. Une histoire drôle qu’on a aimé voir et qu’on raconte à ses copains au milieu du dîner. En l’occurrence, vous ne faites probablement pas partie de mes amis et nous ne sommes pas en train de dîner, mais comme cette pub est une bonne blague, j’ai eu envie de vous la partager.

[ ndlr : la campagne a été pensée par SS+K]

Mélanie PennecBaudouin DemancheSébastien Partika et Philippe Boucheron se sont également prêtés à l'exercice. 

►Pour lire (ou relire) les papiers de CB News sur la dernière édition cannoise, c'est par là.

À lire aussi

Filtrer par