Riccardo Di Mauro (Anacrouse) : « tous les acteurs de notre écosystème sont devenus freelances »

DiMauro

Résilience nationale ... Nous sommes dans la troisième semaine de confinement. CB News, comme vous, a intégré une certaine forme d'endurance. Nous continuons notre série débutée mardi 17 mars. Saison 3 avec le témoignage de Riccardo Di Mauro, CEO de l’agence média indépendante Anacrouse.

Après la stupéfaction, comment va Anacrouse après ces 15 jours de confinement ?

Il semble difficile de parler de nous, dans une période ou l’union et la solidarité sont de mises. Mais si nous devons parler de stupéfaction, c’est davantage sur la vitesse de propagation d’une crise sanitaire unique, qui a conduit 3,4 milliards de personnes – soit 43 % des habitants de la planète – à un confinement illimité dans près de 80 pays, stupéfaction face à l’ampleur du blocus économique généré dans de nombreux secteurs, avec déjà plus de 220 000 entreprises en France ayant eu recours au chômage partiel, soit plus de deux millions de salariés concernés, et amené pratiquement l’ensemble des collaborateurs de notre écosystème media/com° en télétravail , suite à l’allocution présidentielle du lundi 16 mars devant 35,3 millions de téléspectateurs (record absolu pour une interview télévisée en France). Nous sommes confrontés à une situation sans précédent. Au début de ce confinement, chacun s’accordait à considérer que son organisation avait été « facilement mise en place » avec le télétravail, à tel point qu’on se demandait presque s’il aurait été nécessaire de revenir « bosser à l‘agence » … Cependant cette nouvelle organisation n’est pas l’issue d’un soudain engouement managérial faisant preuve d’une empathie forcenée vis-à-vis d’attentes individuelles, mais simplement une nécessaire et rapide adaptation, sous directive présidentielle. En fait, tous les acteurs de notre écosystème sont devenus freelances, souvent à temps partiel, depuis le 16 mars, partageant leurs quotidiens professionnels entre visioconférences, cuisine et salon, tout en surveillant les enfants pas loin, et se disant soudainement « Y’a mon lait qu'est sur l'feu ! » (Coluche – 1974) Mais oui, nous nous sommes tous et toutes adaptés, en quelques heures, malgré ce virus qui fait peur. Oui il faut placer la sécurité de tous en tête de toutes les priorités. Et oui, après quelques réflexions désordonnées de démarrage nous nous sommes rapidement dit « Bon dieu ! mais c’est … bien sûr ! » (Comme disait le commissaire Bourrel /Raymond Souplex, dans l’historique série TV « Les cinq dernières minutes). En fait, on ne change rien, on avance ! Et face à ce tsunami, face au colossale dévouement de nos acteurs de santé, face à la formidable implication de notre écosystème, nous pouvons tous nous dire, « We can be heroes » (Bowie-1977). Sinon, nous aurions simplement pu répondre « Globalement, ça va … »

Vos process, vos clients… Tout était à revoir ? Une gageure ?

Nous avons la chance d’exercer une profession qui est déjà fortement externalisée, avec accès distant aux plateformes. Et les contacts avec nos partenaires s’effectuaient déjà très majoritairement en ligne. De notre côté nous pouvons identifier différentes réactions :

Le maintien des actions en cours pour certains, les reports pour d’autres, voire même des cas d’extensions budgétaires pour préparer l’après, dès fin avril, dans certains cas. Ces écarts comportementaux sont légitimes : plusieurs secteurs d’activités sont lourdement impactés par l’arrêt reconductible du Pays. Inutile en effet de déployer des actions de type « drive to store » si le « store » est fermé…

Mais d’autres s’appuient sur la puissance imaginaire générée par notre solitude confinée. Plus que jamais, nous avons envie de rêver, de nous évader, de sortir de notre « home » pour revoir les « Hommes ». Cette appétence marquée pour l’ailleurs amplifie notre attraction pour l’espace et les marques qui l’expriment. Les acteurs présents en média actuellement ou ces prochaines semaines bénéficieront sans doute non seulement de l’exceptionnelle augmentation des audiences, mais aussi d’un probable accroissement de la rémanence de leurs actions en matière d’efficacité sur les ventes. Par exemple, dans télé travail, il y a travail, mais aussi télé, et la rémanence TV qui était déjà de 26 jours (SNPTV) en ressortira sans doute gagnante.

Les contenus doivent s’adapter lorsque la situation l‘exige, bien évidemment, mais c’est surtout l’ensemble du plan marketing des marques qui est revu, avec de nouvelles actions terrains, dès que ce dernier sera à nouveau praticable. Dans ce contexte, reprendre la parole en média, dans une dimension citoyenne, devient alors l’enjeu trafic préféré. Cela amène naturellement une action de notre part sur la construction de scenarii pour préparer la sortie. Pour nous ce n’est pas une gageure, mais un engagement…

Mesurez-vous d’ores et déjà l’impact financier d’une telle crise ?

Il est encore trop tôt pour en mesurer les conséquences financières sur l’année. Nous aurons forcément un ralentissement sur les 2 prochains mois, puisque l’on parle de baisses ponctuelles d’investissements publicitaires allant de -35 à -72 %, mais nous pensons cependant que la reprise sera forte et rapide. Il sera temps de refaire un prévisionnel d’ici quelques mois, avec analyse de la reprise en T3/T4. Le Monde est sur « Pause », mais nous sommes prêts à passer rapidement en mode Play ! (En oubliant la touche Rew sans doute…).

Quand et comment sortir par le haut d’une telle situation ? C’est quoi le monde d’après ?

Plus que jamais, l’entraide doit devenir collective. Il n’y a en ce moment plus de différences entre l’aide professionnelle et l’aide individuelle, les frontières concurrentielles s’estompent pour faire place à un formidable et généreux partage d’informations. À ce sujet, l’Udecam, dont nous sommes membre, est un précieux soutien, et la solidarité entre nos agences médias est réelle. De notre côté, nous avons choisi de fonctionner « à livre ouvert », en partage d’expériences sur nos pratiques pour accompagner nos entreprises et nos partenaires, voire nos concurrents, afin d’échanger sur les mesures à prendre. Nous sommes enthousiasmés par l’importance de l’élan de solidarité qui unis tous les acteurs de notre univers ; marques, médias, régies, agences, communicants, enseignants. Nous félicitons tous les médias qui mettent gracieusement à disposition sur cette période, leurs contenus éditoriaux, leurs modules de formations, auparavant accessibles sur service payant. Bravo ! Maintenant, la priorité par la majorité des entreprises est d’en sortir, et vite ! Il s’agit alors peut-être d’essayer de ne pas trop se focaliser sur le pessimisme présent, mais se concerter sur la relance, le « juste après », s’organiser pour être dans les starting-blocks, dès qu’on nous donnera le GO, et cela se travaille tout de suite.

Pour savoir à quoi ressemblera le Monde d’après, il faudrait sans doute en parler à Madame Irma (2006) … Mais l’enseignement acquis durant cette période placera sans doute malgré tout, et au moins pour un temps, le curseur de la croissance sur quelques valeurs, comme le partage, la confiance, la solidarité, le respect. Sans tomber dans le ”Make America Great Again”, il faudra peut-être redonner priorité au « Made In France First Again », pour relancer notre économie, réfléchir sur le sens des factures GAFA que nous réglons en Irlande, s’inspirer de Huawei qui a choisi Qwant, parler en Pertes et Profits, pas en P&L, et s’entourer d’initiatives individuelles, pour booster l’Energie. Mais pour l’heure, il est toujours bon de le rappeler, notre utilité réside dans notre capacité à respecter strictement les consignes gouvernementales, oublier un peu notre soif d’identité gauloise qui a tendance à privilégier un esprit libertaire coûte que coûte. Si ce confinement nous empêche actuellement de nous sentir en « liberté », il renforcera certainement notre besoin de « fraternité », en toute « égalité » ! Et vivement demain, car « Demain ne meurt jamais ! ». (James Bond-1997). #StayHomeSaveLives

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