Netflix, j’y vais ou j’y vais pas ? Emmanuel Crego (Values.Media)
Historiquement, annonceurs et agences média pointent la nécessité, voire l’obligation, de disposer de metrics fiables et transparentes des audiences aussi bien sur le linéaire qu’en ligne. Début novembre 2022, Netflix lançait son offre avec publicité. Le service de streaming, à date, ne communique pas ses données d’audience et, pourtant, bon nombre d’annonceurs se ruent sur ses espaces publicitaires… CB News est parti interroger le marché sur ce qui pourrait ressembler à un étrange paradoxe. C’est « Le débat CB News » qui débute aujourd’hui. Il proposera ces prochains jours une série d’interviews des parties prenantes. Aujourd’hui, pour débuter : Emmanuel Crego, directeur général de Values.Media.
CB News : Depuis début novembre 2022, Netflix propose une offre avec Publicité. Une bonne nouvelle pour les agences média ?
Emmanuel Crego : L’arrivée sur le marché publicitaire TV d’un acteur avec une promesse de solutions de ciblage étendues, de contenus de qualité et de reach conséquent (Netflix revendique 10 millions d’abonnés à son offre payante en France), est une opportunité potentiellement intéressante pour les annonceurs. Donc oui, c’est une bonne nouvelle à l’heure où la consommation de la TV se délinéarise rapidement.
Cependant il est encore un peu tôt pour voir l’ampleur de l’adoption de cette nouvelle offre de la part des français ainsi que le profil de ses utilisateurs, ce qui déterminera la part à allouer (ou non) à Netflix dans les plans TV. Je fais confiance à Netflix sur ses capacités de ciblage, il y aura une montée en charge progressive mais rapide courant 2023 de ces critères. Reste enfin un CPM trop élevé pour le moment, déconnecté de la réalité du marché TV et Vidéo en France. Mais avec le développement d’un volume publicitaire, il y aura sûrement plus de souplesse dans sa commercialisation rapidement, ce qui rejoint la question du potentiel de parc d’abonnés « à terme »…
CB News : Conseillez-vous à vos clients d’y investir publicitairement ?
Emmanuel Crego : En 2023, et pour certains de nos clients oui, toute proportion gardée, pour toutes les raisons évoquées plus haut. Nous pensons que nos annonceurs ont tout intérêt à nouer des partenariats dès maintenant avec un acteur qui a un potentiel important, en lui accordant une part de marché adéquate avec son offre actuelle. Celle-ci évoluera (ou non) selon les évolutions futures de reach, capacités de ciblage et prix.
CB News : Les agences médias et les annonceurs plaident fortement et depuis longtemps, encore lors des dernières rencontres de l’UDECAM en novembre dernier, pour la mise à disposition de metrics toujours plus fiables et transparentes sur les audiences, aussi bien sur le linéaire qu’en ligne. Netflix n’en communiquent pas alors que bon nombre de marques y investissent. N’y a-t-il pas là un paradoxe un peu gênant pour les agences médias au cœur du réacteur et les annonceurs ?
Emmanuel Crego : Si on considère que Netflix est de la TV (ce que je pense), alors oui cela pose la question d’avoir des mesures et standards d’audience unifiés sur le socio-démo. C’est une base de travail commune à l’ensemble du marché, donc nécessaire dans un premier temps. Un annonceur qui investit sur Netflix dans le cadre d’une campagne TV linéaire est en droit de se demander quelle est la couverture et répétition, par exemple, de son plan sur une cible socio-démo et donc l’apport de Netflix dans celui-ci.
Mais l’intérêt d’offres adressables (TV segmentée, Vidéo digitale, AVOD…) est d’aller plus loin que le socio-démo justement, ce qui est complémentaire avec le média de masse qu’est la TV linéaire (non segmentée)… Et là se pose un problème plus vaste que celui d’un Netflix mesuré ou non par Médiamétrie sur du socio-démo… Mais les besoins d’une data d’audience TV enrichie plus importante, accessible par l’ensemble de la chaîne publicitaire, donc des acheteurs.
La vidéo digitale s’achète sur une multitude de cibles qui ne sont pas du socio-démo, et qui n’est donc pas le maître étalon dans ce cas : je n’ai pas l’impression que cela ait été un frein majeur à son développement depuis toutes ces années...
L’intérêt d’acheter la vidéo en programmatique est de disposer d’une data de ciblage accessible côté acheteurs. Ce qui permet d’estimer, optimiser en cours de campagne, négocier et maitriser totalement la performance de la campagne… Dans une approche « Total Vidéo », incluant la TV linéaire, la logique est que le marché se rapproche de ces process digitaux, c’est le sens de l’histoire, seulement si la data suit...
Le développement de la TV se fera sur sa capacité à proposer des cibles média avec des critères plus proches des cibles marketing qu’aujourd’hui. La question fondamentale est donc comment mieux mesurer la TV et vidéo à l’avenir et rendre disponible ces datas à l’ensemble de la chaîne, le socio-démo sera alors une catégorie de ciblage parmi d’autres. Mais en attendant ce type de déploiement, travaillons une unification de l’existant : donc du socio-démo…
CB News : Les clients de l’agence sont-ils moteur dans ce choix d’être présent sur les espaces de Netflix, ou y-a-t-il un rapport de force entre l’agence et son client ?
Emmanuel Crego : Nos clients sont très à l’écoute de nos recommandations et nous partageons toujours nos visions respectives avant d’acter ou non des choix médias. Netflix n’est pas sujet de discorde, bien au contraire. Il permet de donner une vision plus globale à nos annonceurs sur l’évolution de la TV et notre approche Total Vidéo sur laquelle nous avons des parti-pris forts.
CB News : Netflix mesuré par Médiamétrie, par exemple, une attente forte de votre part dans un délai court ?
Emmanuel Crego : Cette mise en place aidera à mieux évaluer le potentiel d’apport en couverture et surtout couverture utile de Netflix dans un plan TV linéaire. Ce serait donc un plus pour mieux qualifier la part de marché à lui allouer.
Mais comme évoqué plus haut, l’urgence est un chantier plus vaste sur la mesure de la TV linéaire et non linéaire avec une data plus liquide… La TV est en train de re-créer des walled gardens en pensant protéger sa valeur, au contraire je ne suis pas certain que cela va l’aider à se développer…