Clément Scherrer (Buzzman) "à ce stade, il est un peu tôt pour avoir des certitudes"
Premier jour à plus de 1 000 mètres et sans attestation. Les questions demeurent. Certaines réponses en sont d'autant plus importantes. CB News pousuit ses entretiens matinaux avec aujourd'hui celui de Clément Scherrer, associé et directeur du planning de Buzzman.
1) 11 mai nous y sommes : qu'est-ce qui change pour l'agence ?
Clément Scherrer : en interne, strictement rien. Après avoir consulté tout le monde, nous avons décidé que les bureaux de l’agence resteraient fermés jusqu’à nouvel ordre. Nous conservons le mode de fonctionnement ces deux derniers mois. Du point de vue sanitaire, c’est la chose responsable à faire, et l’expérience a prouvé que nous parvenions à être créatifs et efficaces dans ce contexte. On restera donc rivés à nos Zooms et à nos Whatsapp encore quelques temps. Cette amorce de déconfinement a plus d’incidences sur ceux de nos clients qui avaient dû suspendre leur activité. Ils peuvent désormais reprendre plus ou moins partiellement, et nous les accompagnons sur les meilleures manières de le faire savoir. Il s’agit à la fois de rassurer sur les conditions de sécurité et d’hygiène pour les employés et les consommateurs, mais aussi de mettre en scène à quel point ces marques ont pu manquer au quotidien.
2) Près de deux mois que nous vivons et travaillons "comme ça" : est-on en train de s'y "habituer" ?
Clément Scherrer : j’ai l’impression que chacun a maintenant trouvé ses marques, avec plus ou moins de facilité selon les situations. Et il y a fort à parier que cette zoomification à marche forcée aura des conséquences très positives dans nos méthodes de travail. On va peut-être arrêter de sacrifier des heures dans les embouteillages pour des réunions d’importance relative, par exemple. L’équilibre vie pro/vie perso peut aussi beaucoup y gagner. Néanmoins, à titre personnel, j’espère qu’on ne va pas non plus trop s’y habituer. Plus encore que dans d’autres industries, la grande affaire des agences, c’est de prendre des individus talentueux et de démultiplier leurs qualités en les confrontant les uns aux autres. Cette confrontation n’a plus lieu de la même manière si on n’est pas physiquement ensemble. Pour ma part, les échanges quotidiens avec les gens de l’agence me manquent. Les débats avec mon équipe me manquent. Les divagations avec les créatifs me manquent. Les outils de télétravail ne laissent pas de place aux discussions hors cadre et aux échanges usuels qui sont pourtant riches en idées. C’est pareil avec nos clients. Au début, voir où habitent les uns et les autres, voir leurs enfants débarquer en pleine réunion, ça crée une intimité sympathique. Mais à long terme, je redoute que les réunions à distance ne contribuent à rendre la relation agence/annonceur un peu trop fonctionnelle. C’est quand même plus intense d’être dans la même pièce quand on a un point de vue ou une idée excitante à présenter. Notre métier c’est aussi de transmettre notre enthousiasme : c’est plus compliqué à faire en vidéo.
3) Les idées sont là néanmoins et des campagnes sortent : vous posez-vous davantage de questions sur "faut-il communiquer" ou "pas" avec vos clients ?
Clément Scherrer : non, nous avons vraiment le sentiment que les marques ont tout à gagner à communiquer. Surtout quand leurs concurrents peuvent être tentés de couper les budgets. Si la France est indéniablement touchée, elle ne paraît pas en état de deuil, comme au lendemain des attentats. La catastrophe hospitalière a été évitée de justesse. Dans la plupart des études sur les préoccupations des Français, l’économie vient avant leur santé ou celle de leurs proches. On sent une impatience à reprendre une vie plus normale. Bref, on n’a donc pas l’impression de marcher sur des œufs comme on aurait pu le redouter il y a deux mois. Ensuite, pour une fois, la société de consommation n’est pour rien dans l’éclatement de la crise. Les entreprises et les marques la subissent au même titre que les particuliers. Si l’État est l’objet de toutes sortes de critiques, la mobilisation des marques et des entreprises a plutôt été très bien accueillie. On voit même certaines marques qui manquent aux gens, en contradiction avec tous ces chiffres qui nous indiquent que si les marques disparaissaient, tout le monde s’en ficherait. Donc la question, pour nous, ce n’est pas « communiquer ou pas », c’est plutôt « comment communiquer » ? Faut-il faire référence à la situation dans chaque prise de parole ? Peut-on rediffuser une campagne pré-existante sans risquer d’être hors de propos ? Les Français vont il avoir envie de discours plus responsables, plus empathiques, ou au contraire plus divertissants ? A ce stade, il est un peu tôt pour avoir des certitudes, et rares sont les études sur ces sujets qui ne sont pas grevées par les habituels biais du déclaratif. Nous n’avons pas l’impression que la crise sanitaire ait occasionné un bouleversement des valeurs si conséquent qu’il délégitime les discours des marques existants. En revanche, nous croyons que plus que jamais, les prises de paroles doivent être d’une grande justesse – par rapport à l’identité de la marque et à sa proposition – et d’une absolue légitimité – pas de discours engagé sans actes ni preuves en béton derrière.
4) Arrivez-vous à réfléchir à autre chose que la crise ?
Clément Scherrer : bien sûr et encore heureux. Si la crise prend forcément beaucoup de place, il y a mille autre sujets dans la tête et les conversations de tout le monde. Et il y a aussi des briefs qui arrivent et que la crise n’impacte pas. Ces dernières semaines, les tunnels de publicité ont un peu tourné à la litanie de remerciements, de recommandations sanitaires et d’hommages de toutes sortes. C’en est devenu un peu oppressant, comme si l’actualité ne l’était pas déjà assez. Si on donne toute la place à la crise, il ne faudra pas s’étonner que la crise prenne toute la place.