La semaine vue par... Thibaut Bruttin (RSF)

Thibaut Bruttin (RSF)

Thibaut Bruttin, directeur général de RSF.

(© DR)

À la tête de Reporters sans frontières, Thibaut Bruttin revient sur l'actualité de ces derniers jours.

Thibaut Bruttin est devenu le directeur général de l’association Reporters sans frontières (RSF). L'ancien directeur adjoint a succédé à Christophe Deloire, décédé le 8 juin à 53 ans.

CB News : Lors d’une table ronde à Médias en Seine ce mardi, vous avez déclaré que les médias américains étaient devenus périphériques à la société. Que voulez-vous dire par là ?

Thibaut Bruttin : Les médias américains se sont retrouvés à couvrir une élection présidentielle avec un candidat, Donald Trump, qui relevait de la contrevérité, mais aussi de la fiction. L’affaire des chiens et chats à Springfield montre le lien très ténu d’une fake news avec la réalité. Oui, des animaux avaient disparu dans cette ville, mais dire que les “immigrés volent et mangent les chiens et les chats” relève du fictionnelle. Le plus triste est que la correction effectuée par les journalistes n’atteint pas le public qui est touché par la fake news. Les médias américains sont pris au piège. Donald Trump a fait le choix de s’adresser à des influenceurs qui lui étaient favorables. Cela lui a permis de dérouler un discours sans contestation. La presse est devenue quelque chose d'accessoire, quelque chose de secondaire dans la société. Il est important de changer les pratiques pour imaginer une survivance de la presse.

CB News : Doit-on s’inquiéter en France ou bien il existe des signaux verts ? Le nouveau Premier ministre François Bayrou a par exemple évoqué dans son discours mardi une loi reprenant les propositions des États Généraux de l’information (EGI).

Thibaut Bruttin : L’importation d’un discours anti média appuyé sur des discours politiques et l’importation d’un combat sur une liberté d’expression absolue, qui n’a rien à voir avec l'histoire française, sont inquiétants. Le défaut d’indépendance de certains médias, le peu de cas fait de la déontologie dans d’autres et la concentration des médias posent problème. Le travail fait aux EGI est un effort sans précédent dans son ampleur. Il mélange la perspective des citoyens avec celle des professionnels. Que le gouvernement ou une autre force politique s'empare de ce travail, c’est bien, maintenant, j’attends de voir la loi.

CB News : Autre actualité de la semaine, les départs en cascade de X. Faut-il rester ou partir ?

Thibaut Bruttin : RSF n’a aucun intérêt à rester sur X puisque nous y sommes totalement marginalisés par l’algorithme. Mais, je n’aime pas abandonner les champs de bataille. Quitter X ou Meta est un avantage pour ses dirigeants, Elon Musk et Mark Zuckerberg, car ils peuvent continuer à s’adresser à leur public sans contestation. Plus que de quitter ou non X, la question est celle de la régulation. En 2022, Meta a signé le Code européen de bonnes pratiques contre la désinformation. Sa décision aujourd'hui de mettre fin à son programme de fact checking est inquiétante et présente un défi démocratique. La réponse politique et juridique est faible face aux décisions de ces géants de la tech. Nos institutions européennes sont en mesure de les freiner. Nous avons rendu public jeudi une lettre adressée à Ursula von der Leyen (ndlr : présidente de la Commission européenne) pour la mobiliser sur ces questions et pour activer des lois comme le DSA.

CB News : RSF a signé mercredi une tribune contre le test que souhaite mener Google, à savoir supprimer les articles de presse de son moteur de recherche. Vous avez également soutenu le Syndicat des Éditeurs de la Presse Magazine (SEPM) dans sa procédure juridique à l’encontre de la plateforme. Pourquoi est-ce important pour vous ?

Thibaut Bruttin : Même combat que celui évoqué précédemment. Quel est le rapport de force établi entre les exigences démocratiques, les professionnels des médias d’informations et les plateformes ? Quand une société comme Google décide de faire un test au moment d’une négociation en cours (ndlr: négociations entre éditeurs de presse et Google sur les droits voisins), il s’agit d’une façon de montrer les muscles. Ce sont des pratiques assez brutales. La décision initiale du tribunal de commerce (d’interdire le test en France) est forte et doit être confortée.

rsf

CB News : Quels sont les autres dossiers sur lesquels vous allez vous concentrer ces prochains mois ?

Thibaut Bruttin : Nous sommes très vigilants sur les atteintes à la liberté de la presse à l’étranger (la mort de 150 professionnels à Gaza dans le conflit israélo palestinien, le soutien aux médias indépendants en Ukraine, toujours en guerre avec la Russie…). Nous suivons aussi le dossier de l’intelligence artificielle (IA). Le sommet en février doit être l'occasion de spécifier la question du partage de valeur.

CB News : Que pensez-vous des accords entre des organes de presse et des entreprises d’IA, tel que l’accord signé entre l’AFP et Mistral AI jeudi ?

Thibaut Bruttin : Je suis toujours favorable à des solutions qui vont dans le sens du collectif, d’un usage raisonné et responsable de l’IA. La question sous-jacente est la diversité et le pluralisme de ces outils. L’entreprise qui signe avec telle ou telle entreprise privilégie un organe de presse avec une sensibilité différente d’un autre.

CB News : Outre ces actualités "maisons", qu'avez-vous appris et/ou vu d'intéressant dans la rue, les magasins, la télé, chez des copains concernant votre métier…

Thibaut Bruttin : J’ai relu Le Prince de Machiavel. Une lecture intéressante, je trouve car Machiavel fait le choix de tout dire du rapport de force. Tout en prétendant le dire au prince, il nous en informe tous. Derrière le cynisme apparent, il existe une volonté d’alerter sur comment le pouvoir se conserve et se conquiert. Ce livre du XVIe siècle est toujours autant d’actualité.

CB News : En général, le vendredi, votre WE est planifié ? Un peu, pas du tout ..

Thibaut Bruttin : J’ai un enfant en bas âge alors mon week-end est assez planifié. Je suis aussi historien du cinéma donc mon temps est consacré à la lecture et au visionnage d'œuvres. Je trouve qu’il existe une complémentarité entre mon engagement pour le journalisme, qui est une représentation du monde, et ma passion pour les récits cinématographiques qui livrent également leurs visions fictionnelles.

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