Les conservateurs américains prennent d'assaut les podcasts
Ces nouveaux acteurs bousculent un paysage où les programmes politiques à succès étaient jusqu'ici souvent de gauche, signe de l'évolution de ce format.
Plusieurs podcasts conservateurs se sont hissés ces derniers mois parmi les meilleures audiences aux Etats-Unis. Tucker Carlson, Megyn Kelly, Shawn Ryan ou Candace Owens : autant de personnalités marquées à droite qui sont désormais toutes installées parmi les 25 émissions les plus écoutées sur la plateforme Spotify, alors qu'aucun n'en faisait partie l'an dernier. Même si Joe Rogan -- critique des démocrates et soutien de Donald Trump en fin de campagne -- trône depuis des années au sommet de la hiérarchie mondiale des podcasts, les talk-shows politiques les plus en vue se situaient plutôt de l'autre côté du spectre politique, notamment "Pod Save America", "Chapo Trap House" ou "Last Podcast on the Left".
Et si la campagne présidentielle a donné un coup d'accélérateur à ces personnalités de droite -- dont plusieurs ont eu droit à la visite de Donald Trump lui-même -- elle n'a pas profité aux animateurs sympathisants démocrates. "L'aile gauche était déjà inondée, donc cela devenait beaucoup plus difficile de lancer un podcast", explique Chris Lanuti, président de la société de production et de conseil The Podcast Basement. "On voit simplement plus de podcasts conservateurs parce qu'il y avait une ouverture" de ce coté-là.
Pour Kristine Johnson, professeure de marketing à l'université Rowan, "l'une des raisons pour lesquelles ces émissions sont devenues si populaires, c'est que certains de ces animateurs étaient déjà connus" avant de se mettre au podcast. Avant de voler de ses propres ailes, Tucker Carlson réunissait ainsi, jusqu'en avril 2023, plus de trois millions de téléspectateurs chaque soir de semaine sur Fox News. Egalement vedette de Fox News, Megyn Kelly avait été débauchée pour 69 millions de dollars par la grande chaîne nationale NBC, où elle ne sera restée que deux ans, jusqu'en 2019. "Maintenant que le podcast est devenu grand public, les gens vont plus facilement passer sur une autre plateforme pour écouter des personnalités qu'ils aimaient déjà", selon Kristine Johnson.
"Contenus extrêmes"
La démocratisation du podcast est aussi un facteur d'élargissement au-delà des jeunes urbains diplômés, plutôt orientés à gauche, qui formaient le noyau dur historique des auditeurs. Selon l'étude du cabinet Edison Research publiée en avril, 98 millions d'Américains écoutent ce format au moins une fois par semaine, soit 58% de plus qu'il y a cinq ans seulement. Après deux décennies d'expérimentation, "le podcast est mûr. Les gens ont compris comment l'utiliser efficacement pour faire passer un message et gagner de l'argent", analyse Martin Spinelli, professeur de podcast à l'université du Sussex au Royaume-Uni. "Ce n'est donc pas surprenant que des groupes très motivés s'y mettent et financent le développement de produits", poursuit l'universitaire. Le perfectionnement des algorithmes permet aussi à des podcasts visant des publics spécifiques de trouver plus facilement leur audience.
Omniprésents dans la radio, où des présentateurs comme Rush Limbaugh ou Glenn Beck ont réuni des millions de fidèles durant des décennies, les républicains se mettent maintenant au podcast, où la concurrence est encore bien plus rude. Avec la multiplication des programmes politiques d'opinion et la polarisation du paysage politique, le ton général s'est radicalisé, rompant avec une atmosphère générale historiquement moins agressive que celle de la radio.
"L'une des raisons pour lesquelles on voit arriver des contenus extrêmes", selon Chris Lanuti, "c'est que le marché est tellement saturé qu'ils essayent de se distinguer pour capter des auditeurs." "Il y a beaucoup de podcasts politiques de gauche très efficaces, (...) mais ils sont plus intellos", considère Martin Spinelli. "Je pense que la façon dont (les programmes de droite) font passer leur message est beaucoup mieux adaptée à l'audio que ce que fait la gauche." "Ce qui marche en ce moment dans les podcasts, c'est un discours politique basé sur l'émotion", poursuit-il. "Tout est appuyé sur la peur, l'anxiété, et dans les pires des cas, sur la haine, et c'est quelque chose qui pénètre dans l'oreille des gens de façon très efficace."