Sébastien Ruiz (AudioM) : « Il faut utiliser le podcast de marque comme les marques utilisent les réseaux sociaux »

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En mars 2023, la branche media de WPP, GroupM France, annonçait la création de son centre d’expertises dédié à l’audio : AudioM.

Sébastien Ruiz, son responsable, dresse pour CB News un bilan d’activités et trace les contours de l’avenir de l’entité. Interview.

CB News : Qu’est-ce que c’est AudioM qui fête ses 1 an ?

Sébastien Ruiz : AudioM est une structure dont l'objectif était de répondre à la transformation du média audio. Aujourd’hui, ce format et son audience ont largement progressé. Le constat est que ce marché s’est transformé. Il est passé d'une écoute qui était historiquement passive avec la radio, à un média d'accompagnement que l’on écoute alors que l’on est en train de faire autre chose. Nous sommes passés, aussi, sur une écoute qui est beaucoup plus active, notamment avec le développement des audiences du podcast. Chez GroupM, nous nous sommes rendu compte que tout le potentiel publicitaire, que toutes les vertus de l'audio digitale, et notamment du podcast, n’étaient pas assez bien exploitées par les annonceurs.

CB News : Il y avait des freins ?

Sébastien Ruiz : En effet. Deux principalement. D’abord la compréhension du marché de l'audio, parce que c'est un marché qui est quand même assez protéiforme. Se mêlent à la fois les plateformes de streaming musical, les radios digitales, les web radios, les podcasts, les natifs, les replays, etc. Il y avait un vrai sujet de compréhension du marché, en tout cas, de l'offre et des opportunités publicitaires qui en découlent. Ensuite, il y avait un frein quant à la mise en place opérationnelle des campagnes. Il y a beaucoup d'annonceurs qui étaient peu familiers avec la création sonore, et notamment tous les annonceurs qui ne faisaient pas de radio.

CB News : Il y avait un travail d’évangélisation ?

Sébastien Ruiz : Notre objectif chez AudioM est de proposer une structure experte sur l'audio digital et d’avoir à l’attention des marques un discours de pédagogie sur la compréhension du marché. Si je résumais, nous disons aux marques « qui fait quoi ». Ce n’est pas neutre. L’exemple que j’aime bien donner c’est que beaucoup d’entre elles pensent que Spotify est la régie publicitaire des podcasts de France Inter. Il était donc fondamental de clarifier l’offre et ensuite de faciliter l’accès à l’audio digital en proposant des solutions clé-en-main. Cela passe par la création de contenus sonores, que ce soit pour la production d'un spot de 30 secondes jusqu'à la production d'un podcast de marque, en passant par des chroniques, etc. Et par la mesure d'efficacité, donc à des études adaptées aux médias radios. Sur l'audio, il manquait ces briques-là d'accompagnement des annonceurs pour un média très caractérisé : l’absence d’images, l’impossibilité de cliquer sur un spot audio, ce qui ne permet pas de mesurer ce type de campagne, comme on le mesure sur la vidéo du display.

CB News : Est-ce que vous notez depuis le lancement d’AudioM une véritable évolution des annonceurs sur l’audio ?

Sébastien Ruiz : Lorsque nous nous sommes lancés, nous pensions que les choses se feraient progressivement. En fait, nous avons reçu rapidement beaucoup de demandes. Ce n'était pas des briefs, plutôt des interrogations. Sur la création sonore, en tout cas, sur la production d'un spot de 30 secondes, je pense qu’aujourd’hui les annonceurs sont plus à l'aise. C’est le bilan que l’on fait aujourd'hui chez AudioM. Pour être honnête, j’ai été un peu surpris de leur retour car ils ont presque tous une agence de création qui travaille pour eux. Nous leur proposions de travailler sur les formats audio s’ils n'avaient justement pas d'agence ou s’ils n’avaient pas le temps de la briefer. Je ne vais pas dire que l’on a remplacé les agences de création, mais le fait de leur offrir des dispositifs, ça leur évite de démultiplier le nombre d'interlocuteurs. En 2023, jusqu'à mars 2024, nous avons réalisé un total de 40 créations sonores, pour 15 marques en tout. Notre travail de simplification de la démarche à pleinement fonctionné. C’est la clé de notre succès.

CB News : Les annonceurs ne vous demandent donc plus les mêmes choses ?

Sébastien Ruiz : Il est clair qu’aujourd’hui les briefs que l’on reçoit sont plus exigeants. A nous de répondre à ceux-ci avec les régies publicitaires qui devront à termes développer d'autres solutions beaucoup plus expertes. Cela veut clairement dire aussi que notre phase de lancement et de pédagogie est un peu terminée. Les annonceurs nous demandent plusieurs scripts en même temps. En caricaturant un peu, des marques souhaitent un script de podcast pour le matin, un autre pour le soir. Il y a en a d’autres qui vont en séquencer par semaine. Il y a une vraie compréhension de la souplesse du média.

CB News : Les dispositif audio se font-ils dans un cadre de mix media ou y-a-t-il de vraies spécificités ?

Sébastien Ruiz : La radio, historiquement, a toujours été en complément d'autres médias, notamment la télévision. Pour l’audio, nous sommes plus sur des campagnes un peu ad hoc, du sur-mesure. L’audio va répondre à des objectifs que d'autres médias vont aussi couvrir. Il n'y a pas cette complémentarité de médias, de contacts qu'on peut avoir avec d'autres médias. On sort un peu du cadre habituel. On va toucher la cible de façon différente, de façon beaucoup plus qualitative, beaucoup plus adaptée. De plus, la création sonore ne coûte pas très cher. On va pouvoir démultiplier le nombre de créations pour justement adapter le message à la cible qui est exposée.

CB News : Est-ce que vous travaillez avec les autres agences de GroupM ?

Sébastien Ruiz : Oui, bien sûr. Mais nous sommes assez souples dans notre organisation. Nous nous adaptons au mode de fonctionnement des marques. Certaines préfèrent avoir des points d'entrée dans les agences de GroupM, d'autres préfèrent fonctionner de façon plus instantanée. Ce qui est sûr c'est qu'au moment où l’on passe à la production nous sommes en contact direct avec les marques parce qu'il faut organiser les réunions, les séances de production, etc. On ne se substitue pas aux agences, elles sont toujours dans la boucle de nos échanges. Nous travaillons en équipe. C’est comme cela que nous travaillons pour AirBnB, Backmarket, MAIF, Burger King, Selectour, Lufthansa, Mazda, Danone ou encore Toyota.

CB News : Vous avez créé l’outil propriétaire Audio M Planner. A quoi sert-il ?

Sébastien Ruiz : C'est un outil qui nous facilite l'élaboration de nos plans médias. Nous travaillons d’ailleurs sur la version 2, avec un peu plus de données. Il s’agit d’un outil de travail sur lequel nous avons notamment le référencement de tous les podcasters avec lesquels nous travaillons sur le marché français et qui va nous permettre d'établir une base de plans médias ensuite. Il nous permet aussi d'avoir un plan médias exhaustif en fonction des cibles, des thématiques. Ensuite, sur la partie opération spéciale, il y a quand même un sujet qui est de se dire comment on rajoute une couche avec un peu de plus de « feeling ». Ce que je veux dire par là, c'est que dès lors que l’on cherche des podcasters avec lesquels on veut travailler, nous n’allons pas nous limiter à essayer de proposer à nos annonceurs des plans médias en affinité. Il est très important pour nous de mettre en place des plans médias, mais il faut aussi qu'on ait l'intelligence de pouvoir prendre un peu de hauteur. Et sur certains briefs essayer d'élargir un peu plus le cadre des diffusions. C’est ça la force du podcast aujourd'hui, il y a énormément de possibilités à proposer à nos annonceurs, il ne faut surtout pas céder à la facilité de se limiter à des plans médias un peu trop restreints.

CB News : Pas de primes à la puissance du podcast, en fait ?

Sébastien Ruiz : Une chose dont nous sommes assez fiers, c'est que nous avons réussi à faire en sorte que tous les acteurs du marché de l'audio puissent occuper leur place en fonction des stratégies des annonceurs. Certes, il y a des marques qui ont des objectifs de puissance, mais AudioM réussit à donner de la place aux podcasts indépendants. Nous assurons ainsi notre contribution au financement de certains programmes de qualité, qui ont un rôle sociétal. Je prendrais l’exemple du podcast « Healthy Living » qui parle du bien-être féminin. Il fait moins de 10 000 écoutes, mais nous avons le sentiment de donner un peu de sens aux investissements des annonceurs. Je pense qu'ils apprécient le fait que l'on soit capable de vraiment leur proposer un plan média détaillé avec à la fois des podcasts puissants et puis des podcasts avec des audiences beaucoup plus confidentielles, mais qui sont de qualité. Et qui permettent de toucher l'auditeur dans un contexte très intime, avec un contrat d'écoute très fort avec le podcaster.

CB News : Le marché français de l’audio est dans une dynamique… En quoi se distingue-t-il par rapport à d’autres pays ?

Sébastien Ruiz : Effectivement, c’est un marché très dynamique, qui a encore du potentiel. C'est vrai aussi qu'il y a certaines spécificités du marché français. Nous n’avons pas de gros podcasts comme c’est le cas aux Etats-Unis, qui font des millions d'écoutes. Nous sommes plutôt sur des podcasts avec un niveau d'audience moyen. Mais c’est du côté des annonceurs qu’il faut regarder. Je pense qu’en France, comme je le disais plus haut, ils sont beaucoup plus exigeants sur la construction de leur plan média. Nous passons énormément de temps à discuter avec eux sur les podcasts. Dès lors qu'on leur recommande un nouveau format, ils vont l'écouter. Ils veulent savoir de quoi on part, quelle est la structure d'audience…

CB News : Quels sont les chantiers à venir pour AudioM ?

Sébastien Ruiz : Comme je vous l’expliquais, nous traçons notre chemin. Nous avons familiarisé les annonceurs avec la diversification des opportunités publicitaires en podcasts. Maintenant, notre ambition c’est que beaucoup plus d’annonceurs viennent sur le podcast de marque. Certes, beaucoup l’on fait, mais ce sont le plus souvent des saisons, des one shots. Il n’y a pas tant que ça de marque fidèle au format audio. Nous sommes convaincus que le podcast de marque, il faut l’utiliser comme les marques utilisent les réseaux sociaux, comme Facebook, Instagram. Nous travaillerons ainsi à ce que ces podcasts de marque aient un peu plus de place dans les stratégies media.

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