2024, l'année des tentations ?
Les tentations s’expriment dans tous les domaines. Décryptage avec Yves Bardon et le cahier de tendance Ipsos Flair.
« France 2024. L’année des tentations » est le titre choisi pour la nouvelle édition du cahier de tendance stratégique Ipsos Flair, lancé en 2005. De quelles tentations parle-t-on ? Yves Bardon, directeur du programme Flair au Knowledge Centre l’Ipsos, les détaille dans une courte vidéo : « Les Français sont fatigués par les contraintes et ne veulent pas se prendre la tête. On le voit avec les résultats du palmarès de la pub et les films qui ont eu le plus de succès en 2023. Les marques en tête du palmarès sont fun, drôles, pop, tout ce qu’on veut sauf sérieuses avec des messages graves. Quant au cinéma, Mario, Astérix, Barbie, ne sont pas vraiment des traités de philosophie en dix volumes. Les tentations s’expriment dans tous les domaines : électoral avec l’attrait des partis dits populistes ; la consommation avec tous les acteurs qui permettent de se faire plaisir sans dépenser trop : hard discount, fast fashion, achats de seconde main… ; le sport avec l’outdoor pour se ressourcer ou les e-sports pour de nouveaux défis. »
En accès libre, sur une centaine de pages, les experts des différents services d’Ipsos couvrent une vingtaine de sujets tendances. Nous vous avons choisi quatre extraits :
S'en sortir grâce à la nostalgie
« La grande consommation offre un formidable théâtre à la nostalgie, « Fait maison » étant devenu le summum pour un jambon, un savon ou une limonade. Si certaines marques sont effectivement légitimes car historiques, la standardisation des codes de la nostalgie avec un terroir et une origine géographique, une date (« Depuis... » du Moyen-Âge aux années 1950-70), un fondateur identifié par son nom et son prénom, un geste professionnel (moulé, paillé, luté, etc.), de vieilles images en noir et blanc ou sépia, interroge sur leur efficacité et leur véracité. Le risque d’une nostalgie qui voudrait arrêter le temps est à la fois de ne plus être en cohérence avec la réalité de la marque (et si elle a été rachetée par un groupe agroalimentaire mondial il y a quelques années ?) et des produits (quelle est la valeur d’une médaille de l’Exposition universelle de 1900 sur une boîte de fromage ou une bouteille de whisky ?), et de ne plus être en phase avec un consommateur qui sait décoder l’authenticité ou veut se projeter dans le futur grâce à de nouveaux imaginaires.»
Les achats de seconde main et le luxe, se faire plaisir d'abord
« La magie du luxe n’est pas étrangère aux envies. Il incarne quelque chose qui échappe à l’éphémère, qui se transmet, qui incarne une singularité et un statut uniques, des savoir-faire exclusifs ; la dimension environnementale compte aussi : 35% déclarent vouloir se faire plaisir tout en limitant leur impact écologique. Faisant écho au goût de la nostalgie, 29% des acheteurs de luxe en seconde main déclarent que ce sont des produits intemporels qui ne se démodent pas, 20% qu’ils sont d’une qualité comme on n’en fait plus, 16% qu’ils préfèrent acheter des produits vintage qui ont une histoire. »
Marque engagée ou marque engageante ?
« La relation entre les marques et les causes qu’elles soutiennent (égalité homme-femme, LGBT+, personnes en situation de handicap, planète, cybercriminalité, usage raisonné des réseaux sociaux, etc.) a changé en évoluant de marque engagée à marque engageante. Dans le premier format, une marque déclarait qu’elle s’engageait pour tel ou tel enjeu de société dans une démarche d’auto-proclamation sans trop s’intéresser à l’impact de cet engagement sur la cause elle-même ; elle était assez fière de se dire engagée, ne précisant d’ailleurs pas par qui, comme si cette tournure passive la satisfaisait. Dans le second, la perspective change. La marque ne choisit plus une cause en pensant que c’est une fin en soi, mais le fait en prenant en considération le sort et le devenir de la cause. Ce changement permet d’éviter les accusations de green ou de pink washing – et le bashing qui en résulte – parce que le consommateur peut s’assurer que tout ce que fait la marque a un effet réel : elle apporte la preuve et le résultat de son engagement, qui légitiment son lien avec la cause, au sens actif du mot. Le consommateur n’est plus dans une forme passive de réception top down classique mais partage les valeurs d’une marque qui a vraiment prise sur les choses et agit réellement pour améliorer la vie des gens. »
Plus l'IA générative se développe, plus l'humain est important
« S’il y a lieu de considérer l’IA générative comme un nouveau type d’assistant, voire de partenaire, dans nos pratiques professionnelles, il ne faut pas non plus la considérer comme une solution miracle, mais l’évaluer à travers trois prismes : l’Exactitude, la Véracité, l’Éthique. Bien que basées sur des ensembles de données gigantesques et en expansion, les IA génératives dépendent entièrement des données auxquelles elles ont été exposées. On ne trouvera pas de données sur l’inflation en France en décembre 2023 sur la version publique de ChatGPT, tout simplement parce que ses données d’entraînement s’arrêtent après 2021, d’où sa réponse a posteriori : « Je n’ai pas la capacité de prédire avec précision les données économiques futures ». La nature conversationnelle de ce type d’applications implique aussi de nombreux biais cognitifs, comme l’illusion que la réponse est juste parce que l’IA est très assertive alors qu’elle est fausse, les données n’étant pas absolument fraîches. Il ne faut donc pas leur faire confiance aveuglément, mais vérifier que la réponse est juste. Il est très facile à une IA de reconstituer une citation splendide à partir de phrases dans lesquelles elle va piocher des mots et les assembler comme si elle émanait vraiment de leur auteur, écrivain, d’une personnalité politique ou scientifique. Pour ne pas être abusé par le mirage d’une réponse si belle qu’elle semble parfaite, il faut donc vérifier les sources et les références de l’IA avant de formuler une recommandation définitive, comme il faut vérifier si le répondant à une interview online est un humain ou une machine. »
Le cahier de tendances Ipsos Flair est téléchargeable ici.