Groupe M6 : Nicolas de Tavernost cède aujourd’hui la présidence du directoire à David Larramendy
Ce 23 avril, une page de l’audiovisuel français se tourne. Nicolas de Tavernost, incontournable personnalité du PAF à la tête du groupe M6 depuis 2000 après l’avoir rejoint il y a 37 ans en tant qu’adjoint du premier président-directeur général Jean Drucker, cédera en effet son siège. Ainsi, à l'issue de l’Assemblée générale du groupe, David Larremendy, actuel directeur général de M6 Publicité lui succédera à la présidence du directoire, lui-même remplacé par Hortense Thomine-Desmazures, directrice générale adjointe de M6 Publicité depuis juin 2022. « C'était important d'avoir un candidat interne (...), il ne va pas tout bousculer", avait assuré le sortant début avril devant l'Association des journalistes médias (AJM). Autrefois, M6 était « la petite chaîne qui monte ». Aujourd'hui, c'est le vaisseau-amiral d'un important groupe de médias. Il comprend quatre télés gratuites (M6, W9, 6ter, Gulli), neuf payantes (dont Paris Première et Téva), trois radios (RTL, RTL2, Fun Radio) et des sociétés de production (comme SND pour le cinéma). Comme ses concurrents, le groupe est confronté à des défis considérables, dont la désaffection des jeunes pour la télé traditionnelle, au profit des réseaux sociaux et des plateformes type Netflix. M6 accélèrera sur le streaming gratuit en lançant en mai sa nouvelle plateforme, M6+. D'autres questions structurelles se posent sur l'avenir du groupe.
Son projet de fusion avec TF1 a échoué en 2022 à cause des règles de concurrence, ce que M. de Tavernost garde en travers de la gorge. Dans la foulée, son actionnaire principal, le géant allemand Bertelsmann, a renoncé à le vendre. En l'état actuel des choses, rien ne bougera jusqu'à 2028 voire 2032, puisque la loi interdit de céder une chaîne dans les cinq ans qui suivent le renouvellement de sa fréquence TNT. Après celui de M6 en 2023, ses petites sœurs vont elles aussi postuler à leur reconduction. Mais la loi pourrait évoluer et le délai descendre à deux ans. Si tel était le cas, « beaucoup de gens s'intéressent au groupe M6 », a glissé M. de Tavernost. Car il est rentable, "à 20-22%" selon son futur ex-patron, qui revendique y être attentif et « aller chercher des ressources avec les dents ». Ironie du sort, le dernier coup d'éclat de ce dirigeant peu dépensier a été de rafler les droits des Mondiaux 2026 et 2030 de foot à TF1. Auditionné début février par la commission d'enquête parlementaire sur la TNT, il a, comme souvent, dénoncé le "carcan législatif" qui "fossilise" l'audiovisuel français et plaidé pour sa "concentration" face à la « concurrence inéquitable » des réseaux et plateformes. Il s'est aussi dit « fier » des programmes de M6, de « Top chef » à « L'amour est dans le pré » en passant par « Zone interdite » ou « Capital. C'est cette chaîne qui a introduit la téléréalité en France, avec Loft Story en 2001, au prix d'une polémique nationale. « C'est à la fois un bon souvenir et le plus mauvais », a reconnu M. de Tavernost devant l'AJM. « C'était novateur, ça permettait de taper sur le concurrent » TF1 mais « j'avais une protection policière ».
David Larramendy, lui, n'est pas un homme de contenus. Mais « la garantie pour la création, c'est qu'on gagne de l'argent », fait valoir son aîné, en saluant ce « gars très doué, à la double formation d'ingénieur et de commercial » (à Supélec et la prestigieuse école américaine Wharton). « Quand on lui a confié la régie, il ne connaissait rien à la pub. Et il surperforme le marché », a ajouté M. de Tavernost.
Ils lui rendent hommage
Sans surprise, Nicolas de Tavernost a été salué par les autres dirigeants de l'audiovisuel. « Ce n'est pas un grand patron de l'audiovisuel, c'est un grand patron tout court », a jugé le président du directoire du groupe Canal+, Maxime Saada, dans une déclaration transmise à l'AFP. « Tout ce qu'on lui a reproché est vrai. Impitoyable en affaires, très exigeant avec ses équipes, vigilant sur les coûts voire pingre, interventionniste sur les programmes, lobbyiste invétéré », s'est amusé M. Saada. « C'est grâce à cela qu'il a fait de M6 une grande chaîne profondément aimée des foyers français et bâti l'un des fleurons de l'audiovisuel français. Mais il a su le faire tout en restant fidèle en amitiés, élégant en toutes circonstances et avec un humour sans faille », a souligné le patron de Canal+. L'estime est réciproque. Début avril, lors d'une rencontre avec l'Association des journalistes médias (AJM), M. de Tavernost avait cité M. Saada comme l'un de ceux qui l'ont impressionné durant sa carrière, en louant son "intelligence de la « négo et de la distribution ».
Au fil des ans, l'homme fort de M6 a souvent égratigné l'audiovisuel public, en contestant qu'il puisse diffuser de la publicité. Pour autant, la patronne de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci, a confessé que son homologue du privé allait « beaucoup » lui manquer. « C'est le parrain et, même quand il taquine le service public, il connaît bien l'intérêt général du secteur », a-t-elle récemment déclaré au Figaro. « M6 est une immense réussite qu'il a forgée de ses mains et qui éveille les appétits », a-t-elle poursuivi. Le 13 février, à l'annonce du départ futur de M. de Tavernost, le PDG du groupe TF1, Rodolphe Belmer, lui avait rendu hommage sur le réseau social X : « Pendant près de 40 ans, il aura été le meilleur concurrent, acharné, agile et flamboyant, du groupe TF1 et aura forcé notre respect et notre admiration ».