Ecce Dico : oser le "E"

Cela fait plusieurs semaines que CB News invite les auteurs de Ecce Dico - Design et communication - Abécédaire amoureux et illustré de la vie en agence, paru aux éditions Loco, à nous livrer un mot chaque semaine. Aujourd'hui, c'est l'audacieux "E" qui est mis à l'honneur.

Entreprendre [..t..p...d.] v. tr.

Dès longtemps avant la start-up nation, circulait dans le métier une formule magique : “Dans la pub, on peut être capitaliste sans capitaux.” Des générations de fondateurs d’agence ont flairé le filon et s’y sont engouffrés… Non que devenir capitaliste les ait particulièrement motivés mais sans capitaux, voilà qui correspondait parfaitement à la situation de leurs comptes en banque. Oui, les métiers de la pub, du design, de la communication sont des métiers peu gourmands en capital. Quelques Mac achetés à la Fnac, des locaux sous-loués à des potes, un max d’énergie, un peu de talent, une bonne cafetière, une photocopieuse, une boîte à colle, une trouilloteuse pour les booklets et l’aventure peut commencer ! Au passage, saluons la folle audace des agences qui, contre vents et marées, continuent à investir sur la valeur humaine, le talent et la créativité dans une époque  - dont les Gafam sont l’emblème - à laquelle moins une entreprise emploie de personnel, plus elle réussit. À toutes fins utiles, voici treize conseils - nombre porte-bonheur - à partager avec les candidats au grand saut et que vous ne trouverez dans aucun incubateur.

I- Commencez à l’automne ! On se souvient des premiers jours de W en novembre. C’était sinistre ! Les feuilles jaunies collées aux vitres faisaient tomber la nuit dès midi ! N’hésitez pas à débuter dans le noir, vous n’en savourerez que mieux les lumières du printemps, le pépiement des oiseaux et les journées étirées.

II- Choisissez bien les personnes dont vous attendez les conseils : tout le monde n’est pas qualifié pour vous aider. Commettez vos premières erreurs seul avant de solliciter de l’aide. Vous n’avez pas de temps à perdre avec les beaux parleurs. Vous verrez que ce sont souvent les gens de peu de mots qui vous apporteront les conseils les plus utiles et vos premiers clients.

III- Méfiez-vous de votre famille et de vos amis, ils vous aiment trop. Ne mélangez pas tout. La famille, les potes constituent le terreau dans lequel vous puisez vos forces. Cet environnement ne vous aime pas pour ce que vous faites, mais pour ce que vous êtes. C’est un trésor précieux à préserver lorsque vous essuierez vos premiers revers.

IV- N’érigez pas les levées de fonds en critères de votre succès. Méfiez-vous des soirées bulles qui célèbrent l’évènement. N’oubliez jamais qu’une levée, c’est de la dette ou du capital. Dans les deux cas, vous devenez l’obligé de quelqu’un. Ce qui fera la vraie valeur de votre entreprise ce sont les talents et les clients, et ça, ça s’arrose !

V- Méfiez-vous des rationalisations a posteriori des entrepreneurs qui ont réussi. Rien de plus énervant que ces entrepreneurs sur papier glacé qui ont tout bien fait, ou qui vous révèlent, faussement gênés, un demi-échec. Leur histoire est souvent réécrite et cache l’essentiel : le réel et la vérité. Casanova des tours de table, ils ne vous parleront que de leurs conquêtes, jamais de leurs râteaux !

VI- Ne restez pas seul. Associez-vous. (voir Deléris / Gancel) “Il n’est pas bon que l’homme soit seul.” Genèse 2 : 18. Nous l’avons dit plus haut, vivre une association est une magnifique aventure. Prenez le temps de choisir vos associés. Ensemble, vous allez gagner du temps et mieux encaisser les vents contraires. Seul, on est vulnérable, à plusieurs, difficiles à battre.

VII- Jamais deux fois la même erreur ! Quand on entreprend on se trompe souvent, c’est même le meilleur des modes d’apprentissage (voir Oups). Mais interdisez-vous de refaire la même boulette.

VIII- Ne vous laissez pas obnubiler par le nom de votre marque. N’y passez pas des mois. Choisissez un nom avec lequel vous vous sentez bien, vos succès et votre talent feront le reste. “Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.” En revanche, sortez couvert en la protégeant juridiquement dès le début. Le droit des marques est un droit d’interdire. Protéger sa marque, c’est créer de la valeur.

IX- Ne faites pas designer votre marque par votre coloc. Une belle identité visuelle, c’est rendre votre stratégie explicite et offrir à vos publics de petits instants de qualité. Alors remerciez votre coloc graphiste et dites-lui que vous adorez ce qu’il fait mais que vous vous êtes déjà organisé par ailleurs…

X- Tournez sept fois autour de votre clavier avant de créer une deuxième marque. C’est curieux cette manie des entrepreneurs de créer des marques ! Construire une marque est long et lent. Comme un enfant, c’est facile à faire, mais difficile à élever. Ne vous dispersez pas. Confortez votre navire amiral avant de lancer de nouveaux vaisseaux. Qui trop embrasse…

XI - Ne vous laissez pas griser pas les débuts, le plus difficile est à venir.Les premières années sont faciles. Tous les paternalistes du monde vous souhaitent le meilleur. C’est au bout de quatre ans que les choses se compliquent. De deux choses l’une, soit la boîte végète et ça sent le sapin, soit vous cartonnez et les problèmes commencent : organisation, trésorerie, déménagement, concurrence. Anticipez ce passage d’autant plus délicat que vous ne serez sans doute pas la meilleure personne pour apporter des solutions à ces nouveaux problèmes. Nous n’oublierons jamais ce conseil de Jean-François Benz (ex-boss de Fitch), reçu dans le métro de Londres quelques jours avant le lancement de W : “Gardez-vous du syndrome du fondateur, qui croit que parce qu’il est fondateur, il détient forcément la solution.”

XII- Commencez petit et gardez le monde en tête. Optez pour la stratégie du nénuphar : commencez tout doucement et finissez très fort ! Et, afin d’embarquer tout le monde, imitez les Anglo-Saxons qui n’ont pas leur pareil pour se doter de visions, de mots-valises voyageant parfaitement parce qu’ils sont simples.

XIII- Quand vous prenez des coups, c’est bon signe, accélérez ! Si la concurrence vous agresse c’est que vous dérangez ! Et rappelez-vous que le grand entrepreneur n’est jamais le plus brillant mais celui qui sait encaisser mieux et plus longtemps que les autres ! Voilà, on vous avait prévenu. Les vieux fourneaux ont frappé. On ne peut que se réjouir des nouvelles agences qui se créent chaque année. Alors, pourquoi pas vous ?

SYN.

              Imaginer, oser, rêver, risquer, s'engager, tenter

Entendu à l’agence : “Fais d’abord tes conneries en agence. Tu verras plus tard si tu veux entreprendre.”