Laurent Buanec (X) : “Nos capacités de modération n’ont pas été altérées, mais améliorées”
Après une année de silence, le bureau français du réseau social X (ex-Twitter) prend la parole dans CB News à travers la voix de son directeur général Laurent Buanec. Nouvelles fonctionnalités, désinformation, modèle économique...
Le "Country Lead, X France et DACH (Germany, Swiss, Austria)" nous fait le bilan de la plateforme après son rachat en 2022 par Elon Musk. Interview exclusive.
CB News : Quel bilan faites-vous près d’un an après le rachat de X par Elon Musk ?
Laurent Buanec : Quelle année ! Notre passage de “Twitter” à “X” incarne le changement de direction de l’entreprise à la fois dans l’évolution du produit et de ses modèles. Nous avons lancé plus de 200 nouvelles fonctionnalités. Nous sommes inscrits dans la disruption, et tout va plus vite maintenant. Évidemment, tout ne se fait pas facilement : nous étions une trentaine en France, aujourd'hui nous sommes une vingtaine .
CB News : Dans les sphères directionnelles, vous êtes l’un des seuls à être resté après le rachat d'Elon Musk. Comment l’expliquez-vous, et comment travaillez-vous ensemble ?
Laurent Buanec : Je n’aurais pas pu imaginer pouvoir travailler avec Elon Musk. Je ne l’avais jamais rencontré avant. Et d’un coup, je me suis retrouvé face à un extraordinaire visionnaire. Je ne peux pas commenter le choix de l’entreprise de me garder. De mon côté, je suis un peu geek, un passionné de technologie. J’ai compris que nous changions de service et de méthodologie. C’est excitant.
CB News : Vous n'avez pas communiqué depuis un an. Pourquoi prendre la parole maintenant ?
Laurent Buanec : Plusieurs mois sont passés où nous étions à l’ouvrage sur notre restructuration. Nous avons pris beaucoup de temps pour assainir le code, pour qu’il soit plus rapide et pour construire des modules. Nous avons donc attendu que le produit soit suffisamment bon pour en faire le marketing. Mais nous n’avons pas pris la parole, alors d’autres l’ont fait à notre place avec des aberrations. Aujourd’hui, nous donnons notre version et montrons ce que nous avons fait.
CB News : Vous avez inauguré une panoplie de fonctionnalités (appels audio et vidéo, les signets...). Quelles sont les prochaines nouveautés à venir en France ?
Laurent Buanec : Twitter a permis d’avoir des conversations en temps réel et de connecter des communautés. X va plus loin en s’appuyant sur ce noyau. Nous ajouter des services pour devenir une “application totale” avec les messages audio et vocaux, les solutions de paiement... Pour les marques, nous sommes en cours de déploiement de "X Hiring" pour recruter des personnes ou d’outils comme le "hashmedia", à partir de l'hashtag d’une marque, sa vidéo est automatiquement ajoutée.
CB News : Ces nouveautés sont souvent soumises à un abonnement. Quelles tranches d’âge sont plus amenées à payer, et comment entretenir le sentiment de communauté ?
Laurent Buanec : La plateforme est toujours gratuite. En parallèle, nous avons fait évoluer nos services et proposer plusieurs modèles d’abonnement. Les usages sont en croissance notamment sur les tendances sportives, le gaming ou encore la KPop. Parmi les jeunes, les créateurs peuvent aussi gagner de l’argent grâce à nous, via le modèle de souscription ou le "Creator Ads revenue share".
CB News : Le développement des services payants peut être une alternative aux revenus publicitaires ?
Laurent Buanec : Notre objectif est de diversifier nos sources de revenus pour ne plus être uniquement dépendant en publicité. Notre modèle publicitaire reste fort. Sans pouvoir vous communiquer les chiffres, des nouveaux annonceurs sont arrivés cette année.
CB News : Apple, IBM, Ubisoft... Ils sont nombreux à retirer leur publicité de X. Quelles réponses allez-vous apporter ?
Laurent Buanec : Media Matters a décidé de publier un article montrant des publicités IBM au milieu de contenus non “brand safe”. Nous avons la data pour montrer qu’ils ont manipulé le système pour faire apparaître ces publicités dans ce contexte. Cette journée-là a compté 5,5 milliards d’impressions publicitaires contre moins de 50 impressions sur le post concerné d’IBM. Quelque part, ils ont fait la démonstration que nos systèmes fonctionnent.
CB News : Pour cette raison X a annoncé porter plainte. En attendant l’enquête, comment rassurer les annonceurs ?
Laurent Buanec : Depuis un an, nous avons déployé plusieurs outils de brand control comme “Adjacency controls” qui garantit que les publicités soient diffusées dans un environnement sain. Des partenariats avec IAS sont également lancés aux Etats-Unis et vont arriver en France. Ils permettront d’avoir des garanties en prebid. Évidemment, le contenu illégal est immédiatement retiré de la plateforme.
CB News : Quelles sont vos réactions face aux propos d’Elon Musk vis-à-vis des annonceurs, notamment que le boycott de X par ces derniers va "tuer la plateforme" ?
Laurent Buanec : Ses propos lui appartiennent, je n’ai pas à les commenter. J’invite simplement celles et ceux que le sujet intéresse à écouter comme toujours l’intégralité de l’interview, et ne pas se limiter à certaines phrases, souvent reprises hors contexte. Je reste extrêmement fier du travail qu’accomplissent nos équipes, au service aussi bien des utilisateurs que des partenaires qui nous accordent leur confiance.
CB News : Le réseau est largement pointé du doigt comme un propagateur de désinformation. NewsGuard indique par exemple que les utilisateurs "certifiés" produisent 74% des affirmations fausses ou sans fondement les plus virales liées à la guerre. Avez-vous conscience de cette problématique ?
Laurent Buanec : Les comptes certifiés ne sont pas à l’abri d’être supprimé. Le badge bleu ne les protège pas. Pour les post qui concernent le conflit entre Israël et le Hamas, au bout d'un mois, près de 325 000 contenus ont été modérés et environ 375 000 comptes ont été restreints ou suspendus. Puis les volumes d’impressions sur ces sujets sont nettement inférieurs, de l’ordre de 5 fois moins, aux autres thèmes comme le gaming par exemple.
CB News : Quelles sont vos réactions face à la prise de parole d'Anne Hidalgo, maire de Paris, qui définit X comme un "outil de déstabilisation de la démocratie" ?
Laurent Buanec : Je regrette ce départ mais je déplore aussi le choix des mots utilisés, qui ne me semblent pas adaptés à la situation. Je pense qu'il y a beaucoup d'incompréhensions sur notre service et ce que nous essayons de faire. Charge à nous de mieux l’expliquer mais, en l'espèce, nous avons des règles très strictes sur la lutte contre tout ce qui a trait à la manipulation du discours, la haine envers les autres, les propos violents mais aussi pour œuvrer à la protection des élections.
CB News : La France compte 52 modérateurs, alors que nous sommes le pays européen à diffuser le plus de contenus "illicites". Ce nombre est-il suffisant ?
Laurent Buanec : Nos systèmes d’intelligence artificielle détectent 90% des contenus explicitement illégaux. Le reste se fait par le signalement et nos équipes de modérations. Ce sont des équipes entraînées à comprendre les textes législatifs comme le DSA au niveau européen. Nos capacités de modération n’ont pas été altérées, mais améliorées. Elon Musk et Linda Yaccarino notre CEO, s’en sont fait l’écho.
CB News : Comment travaillez-vous par rapport aux nouvelles règles imposées par le DSA ? Comprenez-vous la démarche de la Commission européenne ?
Laurent Buanec : Nous comprenons tout à fait ce besoin-là et nous y sommes favorables. Cela nécessite forcément de notre côté des efforts. Nous œuvrons à appliquer le DSA. Il s'agit d'un important changement de paradigme, mais nous nous y appliquons avec le centre de transparence, la bibliothèque de publicité, l’interdiction de cibler les mineurs... Nous y travaillons tous les jours.