Bruno Patino (Arte) : « Laisser au choix le temps de se faire »
En 2002, Arte France demande à Silvain Gire et Christophe Rault de créer une radio en son sein. Ils inventent une web-radio à la demande qui propose des créations audio originales, sans grille ni format, et librement téléchargeables. Le podcast avant l’heure. 20 ans après, le média a célébré ses contenus audio originaux dans une exposition au Palais du Tokyo. Au détour d’une allée, entre deux écoutes de productions vingtenaires, Bruno Patino, président d’Arte France et président du comité de gérance d’Arte GEIE, s’est confié à CB News.
Arte France pionnière dans les contenus audio, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Arte Radio ne peut pas se limiter à un format sonore, c’est d’abord une voix. Je pense que sa voix se déploie plus riche et plus foisonnante chaque année. Depuis 7 ans chez Arte, d’abord comme directeur éditorial, je suis convaincu que ce qui a été créé il y a 20 ans non seulement était en avance de phase – dans la technologie sonore – mais surtout qu’Arte Radio a réussi à créer une voix extraordinairement pertinente. Je souhaite que cela continue à se déployer. Evidemment, c’est phénoménal qu’Arte Radio ait fait du podcast avant même que cela s’appelle podcast, mais ce qui moi me touche le plus, c’est la façon dont elle en a fait, dont elle a utilisé le son, pour développer des récits, des documentaires sonores… Ce qui est extraordinaire, ce sont les rencontres entre les récits, les voix, les personnes qui sont entrés dans cet univers et celles qui les écoutent. Arte Radio fait depuis longtemps partie de la personnalité d’Arte au sens large.
Quelle place Arte Radio prend dans le média global Arte ?
Je n’aime pas du tout le terme « média global », je ne comprends pas ce que cela veut dire et le concept m’a toujours échappé, mais j’imagine que d’autres savent ce que cela signifie. Pour moi Arte, c’est un bouquet de propositions éditoriales. Il y a la chaîne, la plateforme, les chaînes sociales et Arte Radio. Cela fait partie des offres d’Arte, qui sont à la fois différentes et en harmonie. Si on prend une métaphore musicale, pour moi les univers dans lesquels Arte se déploie, ce sont des notes différentes mais qui essayent d’être harmonieuses les unes avec les autres. C’est cela qui fait la richesse de ce qu’on propose à l’ensemble de ceux qui nous suivent. Arte Radio a pleinement, totalement, sa place dans ce bouquet de propositions.
Arte est-il un canal médiatique ou artistique ?
Pourquoi faire la différence entre les deux ? Depuis le début, le principe d’Arte est de ne pas se dire : « il faut que je choisisse entre l’art, le médium, le public, l’innovation, etc. ». Notre démarche depuis qu’Arte a été créée il y a maintenant 30 ans par Jérôme Clément (président d’Arte France de sa création en 1991 à 2011, ndlr), c’est de provoquer. C’est un endroit de rencontres, entre un public et des créateurs. On est pleinement un média, et en même temps, pleinement tournés vers l’art, l’innovation, les nouvelles formes et les formes les plus traditionnelles. C’est cette identité-là que l’on déploie. Je pense que c’est la raison pour laquelle de plus en plus de personnes nous regardent, nous écoutent, nous consultent. Est-on un média ou un endroit d’expression artistique ? Les deux, entre autres.
Radio France a lancé un "algorithme de service public" sur sa plateforme : un exemple à suivre ?
Je crois beaucoup, dans cet univers médiatique tel qu’on le connaît, que laisser la possibilité aux gens de trouver des choses qu’ils n’ont pas cherchées est essentielle. Cela peut paraître bizarre, mais qu’on regarde vers la recommandation humaine, le hasard, ce qu’on appelait autrefois la sérendipité, la gestion algorithmique ou autres, je pense que ce qui nous meut tous à Arte, c’est de parier sur l’inextinguible curiosité de nos contemporains à être en interaction avec de l’inattendu. Cela peut être de la surprise, du hasard ou un choix décidé en se laissant guider. Aujourd’hui, la liberté du hasard, du choix, de l’hésitation, est absolument essentielle. Dans cette démarche, proposer un univers où le public peut découvrir, être surpris, être face à la beauté de la rencontre inattendue, c’est ce qu’on souhaite.
C’est lutter contre la civilisation du poisson rouge* ?
Je n’ai pas deux identités, entre ce que j’écris d’un côté (* « La civilisation du poisson rouge », Grasset, 2019), et ce que j’essaye de faire à Arte de l’autre. Je pense qu’il est essentiel de donner du temps aux gens. Prendre du temps nous-mêmes pour produire des choses qui donnent du temps, qui laissent de l’espace de l’imagination, de l’espace de liberté, de l’espace de temps, de l’espace de choix. C’est trouver les formes éditoriales, artistiques, numériques, les formes de programmation, pour laisser à l’imaginaire le temps de se déployer, et laisser au choix le temps de se faire.