Udecam : trois questions à Bertrand Beaudichon

INTERVIEW. La révolution de l’achat d’espace programmatique est au cœur des préoccupations de l’Udecam. Moderniser la loi ou encourager le marché à organiser sa propre autorégulation ? La vision de Bertrand Beaudichon, président de l’Union des entreprises de conseil et d'achat media et vice-président d’OmnicomMediaGroup.

En quoi les cadres préexistants sont inadaptés à l’achat d’espace programmatique ?

Le secteur des media est encadré en France par la Loi Sapin depuis 1993, instaurant le principe de transparence financière dans les relations entre acteurs de la chaine des media. Sauf qu’en 1993, le digital n’existait pas encore, et à l’époque, l’agence media avait un métier bien différent de celui qu’elle exerce aujourd’hui. L’avènement du digital dans le mix de communication a entrainé une vraie révolution, dont celle de l’achat d’espace programmatique qui a instauré un nouvel ecosystème autour du digital et de la donnée. Le premier effet du digital sur le métier des agences media, c’est d’abord d’avoir considérablement augmenté le nombre de points de contacts parmi lesquels arbitrer dans une stratégie de communication. Le digital a ouvert de nouvelles voies pour mieux connaitre le comportement du consommateur. Des acteurs se sont alors créés vers le milieu des années 2000. Les régies comportementales, ou Ad Networks, ont vu le jour, dont le métier est d’acheter des inventaires pour leur propre compte, de les enrichir avec leur propre donnée de suivi comportemental, et de le revendre à des agences media. Ce sont des acteurs qui ne sont ni vendeurs, ni acheteurs mais des transformateurs d’espaces. Beaucoup plus récemment, les  AdeXchanges sont apparus, dérivés directement des marchés boursiers. Le principe : constituer une bourse, ou place de marché, fonctionnant en temps réel, mettant en jeu des espaces publicitaires sur internet, faisant rencontrer l’offre des éditeurs de sites internet et la demande des annonceurs représentés par leur agence media. Avec cette technologie, on n’achète plus du media, on achète une audience dans un environnement contextuel donné. Ce n’est donc plus de l’achat d’espace à proprement parler. On transforme un espace en l’enrichissant en temps réel avec de la donnée comportementale, et sa valeur dépend de l’efficacité supplémentaire apportée par cet enrichissement. Pour l’agence media, c’est une refonte complète de sa méthode de travail et une accentuation fondamentale de sa dimension conseil. Là où, avant, elles achetaient de l’espace publicitaire garanti, sur des medias ne leur permettant pas de « comportementaliser » le contact, elles sont passées aujourd’hui à de l’achat d’audience, en vue d’une meilleure conversion online du contact publicitaire.

En résumé, avec le digital, de nouveaux acteurs se sont créés, qui ne sont ni acheteurs, ni vendeurs, mais des transformateurs d’espace. C’est dans ce contexte dynamique et complexe que le gouvernement s’interroge sur la modernisation de la Loi Sapin. La position de l’UDECAM à ce sujet est très claire : Nous sommes favorables à l’ouverture d’une réflexion afin que le statut de transformateur d’espaces soit reconnu. En revanche, nous pensons que chercher à réglementer tous les échanges entre acteurs économiques, les faire rentrer dans des catégories figées, jusqu’à en encadrer la répartition de la valeur qu’ils créent ensemble, est à la fois extrêmement complexe à mettre en œuvre et à contrôler, et potentiellement improductif. 

Pourquoi complexe et improductif ?

Complexe, parce-que la technologie en matière de digital évolue quasiment chaque semaine ! Chaque jour, de nouveaux acteurs, de nouvelles techniques, engendrant de nouveaux usages, se créent. Tout prévoir dans la Loi, et contrôler sa bonne application, en gageant que ce qu’elle prévoit sera toujours valable dans 6 mois est tout simplement impossible. La Loi fixe un cadre et ses principes - en l’occurrence, la Transparence - que personne ne songe à remettre en cause. Mais sa mise en œuvre doit rester du domaine de l’autorégulation. Ensuite, c’est potentiellement improductif, parce-que la Loi dont on parle n’existe qu’en France et ne peut concerner que l’activité et les acteurs opérant depuis la France. Durcir la loi favoriserait les acteurs étrangers, ou inciterait les français de cet écosystème à ouvrir boutique ailleurs. Enfin, ce n’est surtout pas nécessaire, car, partout ailleurs, la transparence existe sans avoir d’une Loi, et ce, grâce au contrat commercial qui lie une agence media à son annonceur. Plutôt que de chercher à ce que la Loi régisse tout, on pourrait imaginer, comme ailleurs, que les acteurs s’entendent dans leurs relations micro-économiques pour savoir comment se répartir la valeur qu’ils vont créer ensemble. Nous devons cesser de confondre transparence et Loi Sapin. De plus,  j’ai du mal à comprendre comment de telles  tensions peuvent se cristalliser autour d’une activité, qui, tout compte fait, ne représente que 3.7% de l’achat d’espace en France, et 6% dans les pays les plus en avance. Un problème d’application du principe de transparence à cette technologie précise ne peut pas jeter le discrédit, ni remettre en cause tout le reste d’une activité, qui, elle, ne pose aucun problème dans le cadre juridique existant.

Quelles autres voies qu’une solution réglementaire selon vous ?

Le vrai problème est celui de la valeur donnée à l’investissement publicitaire pour qu’on ne le considère plus comme une dépense, mais bien comme un moteur scientifiquement prouvé de la croissance économique. Puis par extension, c’est aussi la question de la valeur donnée au rôle de conseil des agences medias, qui, grâce à la technologie, impactent désormais directement le développement économique de leurs mandants. Or depuis longtemps, la juste rémunération de cette valeur est un sujet qui n’a jamais été vraiment traité de façon concertée, et qui, face aux investissements consentis récemment pour intégrer cette technologie nouvelle, devient criant. Les Rencontres de l’Udecam du 25 mars dernier ont montré la voie pour que cette autorégulation puisse voir le jour, et que les discussions s’ouvrent de façon dépassionnée entre tous les acteurs de ce nouvel écosystème. A nous maintenant, annonceurs et professionnels des media, de montrer que nous sommes capables de nous mettre d’accord pour adapter le principe de transparence au programmatique, car le développement de cette activité participera à favoriser l’essor numérique de la France, contribuant ainsi à combler son retard en la matière. Alors ne gâchons pas cette occasion unique de permettre au  marché d’organiser sa propre autorégulation, sous le contrôle des Pouvoirs Publics.

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