Garde-fous
57 257, ça commence à faire un bout de temps que je l’ai, cette carte de journaliste. Une vie bientôt. Je n’en suis pas particulièrement fier, encore moins honteux, c’est simplement la preuve que je peux exercer mon métier. Je dois même avouer que j’ai longtemps cultivé un certain complexe par rapport à nombre de mes confrères qui sont bien plus audacieux ou courageux que moi. Tous ceux qui risquent leur santé, voire leur vie, pour faire leur boulot qui consiste à faire savoir au monde ce qu’il se passe. Mon horizon n’a jamais été très dangereux, inquiétant et à part de rater un rendez-vous, je ne risque pas grand-chose. Il m’arrive d’écrire des choses qui ne plaisent pas à tout le monde et on me le fait savoir, parfois vertement, mais jamais je n’ai été en danger et j’en suis très heureux. C’est loin d’être le cas de tous mes confrères et quand je vois l’un d’entre eux frappé à terre par des policiers dans une manifestation, je suis choqué. Profondément. Car autant la police est un acteur fondamental de la bonne marche de notre société, autant les médias forment une composante essentielle de la démocratie. Dans notre monde de l’image immédiate et pas forcément exacte, du commentaire sans limite, du partage des rumeurs et des fausses nouvelles, les journalistes, ceux du terrain, de l’investigation, de la guerre ou de l’économie, sont plus que jamais nécessaires. Leur travail est de montrer, de vérifier, d’étayer. Ça ne fait pas plaisir à tout le monde - et en particulier à ceux qui, au lieu d’être au service de la loi, la violent — mais ce ne sera jamais une raison de les frapper ou de les menacer. Quoi qu’ils écrivent, disent ou filment.