Sébastien Genty (DDB Paris) "l’intelligence c’est bien, mais un peu de sagesse c’est pas mal non plus"
Nous l'avons attendu ce lundi là ! Avec beaucoup de questions toujours. Certaines réponses sont encore plus importantes à lire. CB News poursuit ses entretiens matinaux avec, aujourd'hui, celui de Sébastien Genty, directeur général et directeur du planning stratégique DDB Paris.
1) 11 mai nous y sommes : qu'est-ce qui change pour vous à l'Agence ?
Sébastien Genty : concrètement pour l’instant cela ne change rien. Le télétravail reste la norme, pour tout le mois de mai. En fait, l’agence n’a jamais fermé. Ni son activité, ni son esprit. Les locaux oui. Alors on continue sur la lancée. Distanciation physique, mais pas sociale. La vraie différence c’est qu’on va pouvoir passer devant l’agence en vélo, à pied, en trottinette, en monoroue ou en gyroskate , à n’importe quelle heure et sans attestation. En revanche, c’est une période particulièrement importante pour plusieurs raisons. D’abord parce que la fin ne ressemble pas à ce grand moment libératoire de joie collective et partagée. Parce que les uns et les autres ont pu être touchés violemment, et parce que c’est une période de transition, qui nous amène à envisager la vie ensemble sans doute différemment y compris le post-déconfinement, et parce que les impacts économiques vont se préciser. C’est aussi un moment sensible, pendant lequel nous serons particulièrement à l’écoute des attitudes et des comportements en période de liberté sous-condition, tout en étant bien conscients que ces premiers temps ne seront pas nécessairement emblématiques des temps plus longs.
2) Près de deux mois que nous vivons et travaillons "comme ça" : est-on en train de s'y "habituer" ?
Sébastien Genty : je pense que l’on s’habitue à tout. Pour le meilleur et pour le pire. C’est notre grande force en tant qu’être humain. C’est sans doute la seule raison qui explique que l’on soit encore là à pouvoir en parler. Par ailleurs, la magnitude d’une crise dépend aussi du système qu’elle attaque et celui de l’agence est plutôt sain. Sur le plan des façons de travailler, si l’on en croit les spécialistes des sciences comportementales (les durées diffèrent mais le principe reste le même), il faut entre trois semaines et un mois pour augmenter sensiblement les chances qu’une habitude s’installe durablement. Il y a des choses positives à retirer de cette période : l’intérêt de vivre une chose en commun, qui enrichit notre façon d’échanger, les visio conférences qui imposent de laisser à l’autre le temps de finir sa phrase, la prise en compte, encore plus forte, de la vie personnelle de chacun, l’irruption d’un enfant dans une conférence, l’heure d’arrivée aux réunions, le temps utile, l’acceptation de l’incertitude, la nécessité de choix rapides et son corolaire l’obligation d’avoir un point de vue net.
3) Les idées sont là néanmoins et des campagnes sortent : vous posez-vous davantage de questions sur "faut-il communiquer" ou "pas" avec vos clients ?
Sébastien Genty : bien entendu, comme pour les individus les situations sont très singulières. Oui, nous sommes tous concernés, mais pas de la même manière, et c’est peu dire. Néanmoins, la question de communiquer ou non se pose de moins en moins à mesure que les jours passent. La question est plus de savoir pour quoi et dans quel état d’esprit. Relance ou refondation, ou les deux. Par ailleurs, les marques n’ont pas toutes vocation à être d’utilité publique, certaines le peuvent et le doivent. D’autres sauront se rappeler que la communication c’est aussi, plus humblement, un moment de fiction, d’entertainment, d’humour, de poésie, de création d’univers et d’images. Ce qui sera peut-être encore plus dur à l’avenir, c’est de créer du désir et de la valeur pour des choses qui n’en n’ont pas. Être « clean » dans sa manière de produire, ou engagés sera une raison d’exister mais peut-être pas suffisante pour être préféré. Il sera également intéressant de questionner le sens de nombreux concepts utilisés de façon récurrente, voire systématique par la communication : la liberté, le dépassement des limites et toutes les déclinaisons d’une phrase, qui n’avait pas été prévue pour ça initialement : jouir sans entrave. A une époque où certains renoncements auront de la grandeur, où le moins mais mieux pourrait être le maître mot d’une frugalité choisie et possiblement heureuse, où nos interdépendances nous ont bondi au visage plus encore qu’une liberté synonyme d’absolue indépendance. Bref il y a du boulot et ce n’est pas plus mal.
4) Arrivez-vous à réfléchir à autre chose que la crise ?
Sébastien Genty : oui bien sûr, parfois quand je me rase. Plus sérieusement, oui. Nous sommes également sur des projets à plus long terme, mais il est néanmoins difficile et sans doute peu souhaitable de ne pas intégrer, à un moment ou à un autre, les possibles conséquences de cette crise aux choix et au réflexions. Le long terme me semble être, comme toujours, le meilleur endroit d’où prendre les décisions, même et voire d’autant plus si l’action doit se passer dans l’immédiat. En revanche, comme beaucoup, je me dis qu’il y a une autre crise dont on ne peut en aucun cas s’abstraire, elle est écologique et sociale. Peut-être que celle-ci est une alerte que nous saurons entendre, pendant un temps nous avons ressenti, que nous avions participé à créer une terre proprement inhabitable. Alors, on va peut-être se dire que l’intelligence c’est bien (les smartcities, les smartphones, smart refrigerator, smartbox, …), mais qu’un peu de sagesse c’est pas mal non plus. Et si l’on veut que ce soit une opportunité, c’est tout à fait possible, chacun à son poste, par ses choix, ses décisions, et parfois des gestes minuscules.