Laure Benaroya, Inès Bizot et Nathalie Vidor (June Marketing) "notre imaginaire fait des plans sur la comète…"
C'est la cinquième semaine de confinement. CB News, au delà de l'endurance, continue d'informer. Nous poursuivons notre série d'interviews, débutée le 17 mars, avec aujourd'hui le témoignage de trois femmes (puissantes) : Laure Benaroya CEO, Inès Bizot CEO et Nathalie Vidor, Partner, chez June Marketing, le cabinet d'insights et de stratégie.
1) Comment allez-vous ? Comment continuez-vous à travailler "quand même" ?
Nous sommes une petite agence de quarante personnes et nous avons l’habitude de travailler en équipe. Dès le démarrage du confinement, notre première préoccupation a été de nous assurer que tous les collaborateurs étaient en sécurité et bien installés pour cette période qui s’annonçait. Puis nous nous sommes organisés : abonnement Zoom, connexion à distance sur le serveur, mise en place d’un planning de réunions. La première fois que nous sommes retrouvés via l’écran, nous étions tellement contents de nous voir, même si cela faisait à peine deux jours que nous étions séparés ! Depuis, comme beaucoup de personnes qui vivent le confinement, il y a des jours avec et des jours sans. C’est un peu les montagnes russes émotionnelles et les écarts de moral et d’énergie sont très forts. Nous avons commencé à sentir certains effets néfastes sur le mental des troupes, avec des inégalités criantes en fonction des conditions de confinement : entre ceux qui sont repartis chez leur parents en province avec maison et jardin, ceux qui doivent faire l’école auprès des petits, et ceux, seuls ou en couple, confinés dans de petits appartements parisiens sans extérieur et parfois sans lumière…Pour rester soudés et solidaires, nous avons accru le nombre de réunions, quitte à ce qu’elles soient plus courtes...C’est un peu le café qu’on prenait, avant, pour échanger de façon informelle. Si notre activité est clairement en baisse, nous continuons tout de même à avoir des missions, et nous nous efforçons de bien répartir le travail, de façon à éviter le désœuvrement de certains, qui a des effets dévastateurs. Nous essayons aussi de nous atteler à des chantiers souvent repoussés, type rénovation du site, écriture d’un livre blanc…Nous échangeons beaucoup sur les mérites et les limites du télétravail. Souvent fantasmé comme une solution idéale, certains déchantent : mal installés, internet qui rame, effacement des frontières entre vie privée et pro. D’autres au contraire avouent se sentir heureux dans cette nouvelle façon de travailler, sur un rythme 100% perso. Comment nous retrouverons-nous ? Aurons-nous changé, chacun dans son chez-soi ? L’esprit de corps, le sens du collectif seront-il intègres ? C’est une question qui nous taraude…
2) Les insights que vous observez depuis un mois sont principalement de quelle nature ?
Très rapidement l’idée de monter une communauté en ligne rassemblant des consommateurs est apparue. Notre métier est d’être au plus près des individus et de sentir les évolutions de notre société et du monde. La perspective de rester déconnecté de nos contemporains pendant une période indéterminée nous semblait impensable, d’autant que nous avions la conviction que cette crise allait tous nous impacter fortement. Mais de quelle façon ? Notre communauté est composée d’une petite centaine de consommateurs français, de tous âges et sur tout le territoire. L'idée est d'aborder avec eux l'expérience vécue pendant le confinement, mais aussi les changements attendus pour l'avenir. Nous cherchons à être au plus près de leur quotidien et les interrogeons sur de multiples aspects de leur vie comme l’alimentation en temps de confinement, le soin de soi, la gestion de l’argent, les petits rituels mis en place… Parfois, nous essayons de prendre un peu de hauteur et de les projeter dans l’après. Pour approfondir certains sujets, nous organisons également des discussions avec 3-4 personnes pour échanger en live. Cela permet aussi de rendre la communauté moins virtuelle. Le sujet qui revient beaucoup ces jours-ci est celui des vacances. Comment se projeter sur l’été et les vacances ? Pourrons-nous partir ? Et où ? Les gens ont besoin de se dire qu’ils vont pouvoir s’évader à un moment ou un autre, et changer d’air. Depuis l’annonce d’un déconfinement à partir du 11 mai, on observe également des sentiments très contrastés. Évidemment, nous avons enfin une date à laquelle nous accrocher, et la perspective joyeuse d’une sortie, mais l’idée du retour à la vie ‘normale’ ne semble pas enchanter tout le monde, voire peut générer de la crainte. Comme si pour certains, le retour en arrière n’était pas souhaitable, ou possible, et que ce confinement leur avait permis de découvrir d’autres aspects d’eux-mêmes, un autre rythme de vie auquel ils ne souhaitent finalement pas renoncer. A ce stade, on sent bien que nous avons tous encore beaucoup de mal à nous projeter et à savoir ce qui restera ou pas, ce qui changera ou pas, de cette période hors du commun.
3) Avez-vous vu repérer des initiatives intéressantes ici ou ailleurs dans le monde ?
Nous remarquons qu’il y a de nombreuses initiatives mises en place de façon très locale, voire à l’échelle d’un immeuble. Certaines personnes ont besoin d’être actives dans cette fameuse ‘guerre’ et ne peuvent se contenter de rester confinées pour sauver des vies et aider les gens : aider les personnes âgées à faire leurs courses, mettre son imprimante à disposition… Ce qui ressort très fortement de cette communauté est la préoccupation de venir en aide aux commerçants, petits producteurs, restaurants… qui souffrent grandement d’un point de vue économique. Comment les soutenir ? Certains d’ailleurs ne vont quasiment plus dans la grande distribution et favorisent les petits commerçants, ce qu’ils faisaient moins auparavant. Beaucoup partagent des idées originales : le contact d’un fleuriste qui propose la livraison de fleurs à domicile (c’est la saison des pivoines !), les commandes groupées auprès de producteurs locaux, un libraire qui prépare des commandes de livres et la met à disposition chez un primeur… On voit apparaître une nouvelle forme de solidarité, accessible et responsable, axée sur la survie économique du tissu des petites entreprises. Nous ne sommes pas soignants et ne pouvons agir concrètement sur la maladie, mais nous pouvons agir sur les dommages collatéraux du confinement. Le ‘achetez français’ de notre gouvernement est déjà en marche !
4) Notre imaginaire, n'est, lui pas confiné...Où va le vôtre ?
Notre imaginaire s’aventure dans de multiples dimensions pour échafauder des scénarios d’avenir. Que restera-t-il de cette crise ? Comment, à titre individuel, familial, amical, professionnel, social, planétaire, allons-nous évoluer ? Où va se situer trouver la juste distance sociale ? Allons-nous nous recentrer sur nos proches, ou au contraire renouer avec une ouverture débridée aux autres ? Nous les femmes, allons-nous recommencer à nous maquiller, à nous teindre les cheveux, ou bien aura-t-il été apaisant de s’être vue pendant plusieurs semaines sans le moindre artifice dans le miroir de notre salle de bain ? Qu’en sera-t-il de nos priorités budgétaires ? Comment le luxe devra-t-il se réinventer pour nous séduire encore ? Que dire de l’école ? Les professeurs auront-ils envie de faire évoluer leur pédagogie, après avoir testé les outils digitaux ? Quid de nos entreprises ? Saurons-nous offrir un cadre de travail plus serein à nos collaborateurs ? Question mobilité, l’imaginaire travaille aussi. Allons-nous accepter de voir nos villes se repeupler de voitures et de camions, et renoncer à l’air pur que nous respirons en ce moment ? Sera-t-il soutenable de se remettre à voyager comme avant ? Quid de l’avenir du tourisme de masse ? Peut-on rêver à un monde plus lent, où le temps nous sera moins compté ? Peut-on espérer que nos politiques travaillent sur un projet de société profondément renouvelé ? Notre imaginaire fait des plans sur la comète…