Maurice Levy (Publicis) : "La publicité apporte quelque chose de rare dans ces circonstances : de la couleur dans la vie, une forme d’optimisme"
Quatrième semaine de confinement. CB News poursuit ses interviews des acteurs du monde de la communication. Ce matin, Maurice Levy, président du conseil de surveillance de Publicis Groupe, répond à nos questions.
1) Comment allez-vous ?
En pleine forme, je travaille depuis mon domicile à Paris, et à distance. Je découvre qu’on est à la fois plus productif et plus occupé. Le moral est bon malgré l’avalanche de mauvaises nouvelles venant de toutes parts du monde. Il faut savoir subir ce que l’on ne peut pas éviter ! Et comme tout un chacun, je ne peux m’empêcher de penser à ceux qui souffrent, aux familles qui ne peuvent accompagner ceux que le virus emporte, et j’ai un sentiment énorme de reconnaissance pour tous ceux qui se battent pour lutter contre le virus : médecins, infirmières, infirmiers, ambulanciers, tout le personnel hospitalier et aussi tous ceux qui font que la vie continue : agriculteurs, chauffeurs routiers, distributeurs, boulangers, y compris ces policiers et gendarmes qui essaient de faire respecter le confinement entravé par des inconscients ou imprudents, etc.
2) Mesurez-vous l’impact financier de cette crise ?
Contrairement aux crises précédentes, depuis 1929, celle-ci ressemble un peu à une vraie guerre : on sait quand et comment ça commence, on ne peut pas prédire ses développements, ni sa durée. On est face à une situation très évolutive et je trouve d’ailleurs les critiques faites au gouvernement mal venues tant il est difficile de prévoir les évolutions. L’impact financier et économique pour les pays, les économies, les entreprises et les ménages va être violent et intervenir par secousses successives avec pour les entreprises des décisions douloureuses qui vont relever de la survie.
Pour les groupes de communication on peut s’attendre à une crise violente plutôt brève mais avec une remontée assez lente : des pans entiers de l’économie sont à l’arrêt avec des conséquences immédiates : suppression ou coupes sombres dans les campagnes marketing et réinvention des modes de fonctionnement. Un aggiornamento dans l’organisation, les structures et le fonctionnement des agences s’imposera sous le double effet de la crise et du développement des technologies avec le travail à distance.
Je n’aime pas l’expression « plus rien ne sera comme avant » d’abord parce que c’est une phrase sentencieuse et éculée qui a beaucoup servi, mais je crois qu’on peut affirmer, avec très peu de doute que beaucoup de choses vont changer, y compris bien sûr dans le comportement des consommateurs avec le retour de valeurs fortes, essentielles, comme celles de solidarité et d’humanisme.
Les médias vont beaucoup souffrir et certains ne se relèveront pas.
Notre groupe est bien armé : grâce à des choix faits de longue date, nous sommes dotés d’outils technologiques remarquables qui ont permis le travail à distance de façon quasi instantanée pour 95 % de nos effectifs mondiaux. Grâce à la récente initiative de créer Marcel, cet outil interne, nous allons pouvoir aller encore plus loin. Et notre métier a beaucoup évolué : notre nouveau modèle appuyé sur la data et la technologie nous permet d’aider nos clients à être plus efficaces, plus performants à moindre coût. On est prêts pour cette crise comme on a su en surmonter d’autres. Mais ce sera dur.
3) Comment pouvez-vous être utile, votre entreprise et votre activité en particulier, à la société ?
Toute entreprise est utile à la société dans ses dimensions propres. Un groupe comme le nôtre apporte plusieurs choses : de l’emploi direct et indirect ce qui en soi est très précieux et le sera encore plus demain, un rayonnement pour un pays comme le nôtre, et surtout une accélération de la reprise par le métier que nous exerçons en aiguillonnant la consommation des ménages. La publicité apporte aussi quelque chose de rare dans ces circonstances : de la couleur dans la vie, une forme d’optimisme. Donc non seulement je considère que nous sommes utiles à la société d’aujourd’hui et de demain, mais que nous avons un rôle très précieux pour accompagner et accélérer la reprise.
4) Comment voyez-vous la suite ?
Je n’ai pas de boule de cristal, et je n’aurai pas la prétention de prédire l’avenir mais il est clair que le risque de pandémie sur lequel quelques personnes, dont Bill Gates, s’étaient alarmées résonne un peu comme un coup de tonnerre et montre la fragilité de l’être humain et de nos sociétés. On peut, à défaut de prévoir l’avenir se poser quelques questions sur la société de demain, le rôle de la finance, les investissements publics dans la santé, l’éducation, comment protéger les plus faibles, la solidarité… La liste des questions est longue et montre à quel point les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont considérables. Ils étaient jusque-là remis au lendemain. Mais désormais il y a urgence.