Natalie Maroun (Heiderich) : "en matière de fake news, le vide est le nid des peurs "
Résilience nationale ... Nous sommes dans la troisième semaine de confinement. CB News, comme vous, a intégré une certaine forme d'endurance. Nous continuons notre série débutée mardi 17 mars, avec, aujourd'hui, le témoignage de Natalie Maroun, directrice associée du cabinet conseil Heiderich spécialisé en gestion et communication de crise.
1) La crise, amplifiée dans les médias et sur les réseaux sociaux est propice aux fake news. Quel est votre état des lieux ?
Natalie Maroun : il est encore un peu tôt pour faire un état des lieux, mais la France se porte bien en matière de fake news. Les journalistes prennent le temps de rappeler les bonnes informations et les bons liens et jouent un rôle contre la désinformation. Néanmoins, il y a beaucoup d’approximations. Experts, médecins, c’est comme si l’opinion prévalait sur les faits scientifiques. Tout le monde a un avis. Mais, pour faire de l’info 24/24, il faut des intervenants. Par conséquent, il est difficile pour le public de faire le tri. Par ailleurs, une information non confirmée n’est pas forcément une fake news et peut être un bout d’incarnation du réel. C'est l’idéologie qu'il y a autour, qui est facteur de vacance. Il y a également plusieurs types de fake news : celles qui reposent sur la théorie du complot, comme le fait que le Covid-19 ait été créé par l’Institut Pasteur ou qu’il ait été breveté, comme celles qui reposent sur le ressort émotionnel, de l’indignation et de la peur, et qui alimentent le millefeuille argumentaire et créent des discours alarmistes. Pour être communicante en santé publique, je remarque que l’expérience personnelle de chacun tente de prévaloir sur le reste. On l’aura vu avec la diffusion de faux remèdes de grands-mères dangereux sur les réseaux sociaux pour lutter contre ce virus; comme le fait de boire de l’eau chaude, de prendre du sel ou de la cocaïne, ou encore le fait de promouvoir la création de masques maison, bien moins hygiéniques que ceux des professionnels. Certains ont également semé le doute quand aux effets de la chloroquine aux Etats-Unis, mais en réalité quelqu’un a été en contact avec du phosphate de chloroquine présente dans un aquarium, donc le produit et les conséquences sur la santé ne sont pas du tout les mêmes ! Enfin, il y a les fake news qui jouent sur l’absence d’information et peuvent s’avérer ludiques et réconfortantes : je pense aux vidéos de dauphins qui circulent sur internet actuellement. Ma conclusion est que le sujet de la santé est tropiste. Il en va de même en ce qui concerne les déclaration du Pr. Raoult. Pourquoi sont-elles remises en question ? Parce qu’elles n’ont peut-être pas suivi les standards. Et dans une situation de crise, ou il y a de l’incertitude, on veut que les avis soient tranchés. Il est également plus facile pour une fake news d’être crédible en se basant sur un oui / non. Et puis, malgré les efforts de communication du ministère, on est obligés de combler par tous les moyens l'information. Le vide est le nid des peurs.
2) Les réseaux sociaux et diverses plateformes (Google, Facebook,Twitter Microsoft et Reddit) tentent de lutter contre la désinformation pour venir en aide aux TPE et PME. Que pensez-vous de ces initiatives ? Est-ce un bon point de départ ?
Natalie Maroun : on ne peut pas empêcher le flux de fake news, notamment lorsqu’elles sont basées sur de la manipulation idéologique. Certaines viennent d’ailleurs d’erreurs de communication. En revanche, on peut travailler sur leur circulation et étudier la façon dont elles font réagir des « bulles », à savoir des cibles précises. C’est ce que fait WhatsApp. Ainsi, on ne lutte pas contre l’origine mais contre la diffusion car le risque, ensuite, c'est qu'elles soient reprises par des personnes sérieuses, des instances, des médecins ou des journalistes et qu'elles gagent en légitimité. En ce qui concerne les initiatives que vous citez, elles sont bonnes mais présentent des limites. Facebook a eu du mal avec le nombre de modérateurs requis. De plus, les algorithmes ne peuvent pas détecter l’ironie et l’humour. Les machines n'interprétant pas ces nuances (dans les propos), nous avons besoin de modération humaine.
3) Qui sont les organismes les plus vulnérables actuellement ?
Natalie Maroun : les organismes médicaux, officiels et hospitaliers. Il ne s’agit pas seulement d’une crise sanitaire, c'est aussi d’une crise économique. Il est donc facile de déstabiliser une entreprise, en matière de réputation, en instaurant le doute quand à sa santé financière. Ces organismes sont en première ligne en termes logistiques. Et la confiance des publics tient en la façon dont ils gèreront cette crise. Si une fausse information circule quant à un nombre de malades pris en charge ou décédés, cela ébranle la confiance envers le service. Pareil si l’on dit qu’un hôpital a subi une cyber-attaque. Cela renvoie l’image d’une désorganisation, d’une fragilisation, même si les propos énoncés sont faux. Par conséquent, on aura peur d’aller dans ce genre d’établissement, tout comme on craindrait d’aller dans un restaurant ou une pharmacie dans laquelle le personnel n’aurait pas / aurait été mal diagnostiqué du Covid-19. Ainsi, c’est tout le secteur médico-social qui est vulnérable.
4) Et pour les marques et les entreprises ?
Natalie Maroun : pour les entreprises, le fait d’être en télétravail accentue les rumeurs et les fake news. Etant donné que l'on n'est pas réunis physiquement autour d’un manager, il n'y a pas, ou plus ce moment de communication informelle. Les conversations tournent autour de l’organisation interne et non plus autour de sa réputation. Ainsi, créer un doute sur la gouvernance d'une société peut refroidir autant de clients, de partenaires, de fournisseurs, que d’investisseurs à collaborer avec celle-ci. Et ce n’est qu’une fois qu’on a détecté un problème qu’il faut appliquer la bonne attitude : répondre dans les meilleurs délais pour ne pas instaurer de vide et ne pas laisser aux fausses informations, le temps de gagner du terrain. La fake news est un "virus" en soi, qui s’accroche à tout ce qu’il peut : aux réseaux sociaux, aux articles de presse, etc. Heureusement, nous avons des experts en fact checking dans les rédactions, pour rétablir le vrai du faux. Du côté des marques, je pense à Corona. La marque de bière, de par son nom, a été rattachée au virus et n’a pas pris au sérieux ses enjeux de réputation. Elle a laissé les canulars se répandre sur les réseaux sociaux, initialement créés sur un simple amalgame, jusqu’à ce que cela prenne trop de poids, jusqu'à impacter son chiffre d’affaires.
5) La population fait-elle encore confiance aux instances de santé et au gouvernement ? Les organismes traditionnels sont-ils encore légitimes aux yeux des publics et des professionnels ?
Natalie Maroun : aujourd’hui on fait confiance au corps médical, contrairement à la situation observée il y a quelques mois, très virulente quant à la question des vaccins. En revanche, il y a de la méfiance envers la parole publique, car il y a des dissonances entre le ministère et les diverses organisations qui gèrent cette crise. La crédibilité va directement aux infirmières, car elles sont inconsciemment plus proches des publics. Il n’y a pas non plus d’enjeu politique derrière leurs déclarations. Tout repose donc sur la sincérité. Sincérité représentée par les médecins, moins que par les instances gouvernementales, plus corporate et plus éloignées de leurs cibles. Quant à ce qui se dit à la télévision, il y a une méfiance des téléspectateurs envers les intervenants... car on a beaucoup de « sachants » alors qu’il ne s’agit, dans bien souvent des cas, que d’un avis personnel. Par conséquent, il n'est pas forcément faux, mais pas pour autant objectif.
6) Que peut-on recommander aux entreprises ?
Natalie Maroun : ne pas sous estimer la fake news et son rapide pouvoir de persuasion. Rapidement prendre des mesures, surtout lorsqu’elles concernent des sujets sanitaires ou économiques. Ensuite, être en état de veille constante afin de détecter la survenue de la moindre information qui sortirait du cercle de maitrise de l’entreprise; mensonge, rumeur ou fake news. Et puis, je pense que l’enjeu d’une réponse n’est pas de convaincre du bien fondé de la communication, puisqu’il est de toutes façons difficile de convaincre dans le domaine sanitaire.
7 ) On évoque beaucoup l'effet "streisand". Vient- il également nourrir les fake news ?
Natalie Maroun : évidemment, c'est tout le dilemme ! Dénoncer une fake news, c'est aussi en faire la promotion et bien souvent d'opérer un transfert de légitimité et lui donner de la valeur. C'est pourquoi, toutes ne sont pas bonnes à dénoncer, de ce qu'elles mettent en cause et des dangers. En cette période, par exemple, il est important de stopper toute fake news qui peut mettre en danger des personnes, j'en reviens aux remèdes miracles et à l'automédication. Cependant, la fake news complotiste, qui consiste à dire que le virus s'est échappé d'un laboratoire, a peu d'impacts et doit être traitée par le mépris.
8) De quelle façon sont punis ces abus par la loi ?
Natalie Maroun : tout dépend de la nature de la nature de la fake news et effectivement du cadre juridique dans laquelle elle peut être placée. De fait, la question est plus complexe que l'on peut imaginer. Evidemment, la diffamation est depuis longtemps punie par la loi tout comme le parasitisme, le plagiat, l'usurpation d'identité et la divulgation de fausses nouvelles. Il y a matière à bataille d'experts et au final, tout dépendra de l'appréciation du juge. Les émetteurs et même les colporteurs d'une fake news se croient trop souvent protégés, ils ont tort.
9 ) Quels enseignements peut-on déjà tirer de cette crise, sinon plus largement du passé en matière de communication de crise ?
Natalie Maroun : qu’il faut mettre le citoyen au coeur de la communication de crise. C’est ce que tente de faire le directeur général de la Santé en faisant des points quotidiens. Mais la confiance ne peut être inspirée que par une expertise assumée et l’expression d’une empathie. Il est donc nécessaire d'avoir une prise en compte des inquiétudes des populations. Et puis, il ne faut surtout pas penser que la confiance est acquise, mais qu’elle est à construire.
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