Jean-Pierre Goux : « L’humanité n’a pas d’identité car personne ne raconte son histoire »

Jean Pierre Goux
(© Eric Legouhy)

Rêveur. Terrien émerveillé. Romancier, chef d’entreprise, mathématicien, conférencier à la tête d’une ONG, Jean-Pierre Goux se définit comme « le point commun de tout cela, un écosystème à moi tout seul ». Les images qu’il a diffusées sur la scène d’Impact, ont émerveillé à son tour le public réuni lors de la 3ème édition de la conférence qui proposait de faire « Le point sur la sobriété ».

Qu’est-ce qu’évoque pour vous la sobriété appliquée à l’industrie de la communication ?

La question de la sobriété résonne souvent avec moins consommer. Du point de vue du consommateur, il s’agit d’évaluer ses dépenses, et de regarder si en dépensant moins, il est possible de réinvestir ailleurs. De redonner du sens à ses dépenses. Cet hiver a prouvé qu’on pouvait réduire de 20% nos dépenses en énergie sans perdre de confort. Cela permet de participer, à sa mesure, à un élan collectif, et cela peut rendre heureux : Pierre Rabhi parlait d’ailleurs de sobriété heureuse… Il s’agit d’un choix de civilisation, de s’interroger sur le projet humain. On comprend que ce soit un mot compliqué à manier pour les marques. Sobriété comme décroissance sont deux mots aux charges très lourdes.

Pourquoi est-il urgent d’inventer de nouveaux récits, de bâtir de nouveaux imaginaires ?

Dans le fond de nos logiciels, nous avons une part d’héritage socioculturel, venant de nos pays et CSP d’origine par exemple. À ce référentiel est associé un imaginaire, une pensée conformante. S’en éloigner, c’est se mettre en risque de marginalisation, de déclassement. Et cela restera ainsi tant qu’il n’y aura pas d’autres imaginaires valorisés socialement, avec leurs héros, leur mode de vie, non contestable. L’humain est mimétique, il n’aime pas justifier ses choix…  La vitesse d’adoption du végétarisme dernièrement est un bon exemple, certains pas sont difficiles à assumer seul, et évidents quand ils deviennent une nouvelle norme.

Il nous faut donc créer de nouveaux imaginaires : d’une mode plus soutenable, plus durable, par exemple, mais tout aussi désirable. Aujourd’hui, nos imaginaires sur l'écologie sont partagés entre le Zadiste et l’écolo bobo en Tesla et entre les deux, les prédicateurs de l’apocalypse. Manque une figure pouvant embarquer une grande partie de la société prête à consommer autrement, se transporter autrement, trouver un nouvel idéal… Mais les forces de l’économie sont telles qu’on s’y met sans s’y mettre…

Vous avez contribué à enrichir cet imaginaire, en publiant la saga « Siècle bleu », ou en produisant et en offrant au plus grand nombre des images incroyables de la Terre vue du ciel, diffusées sur la scène d’Impact. L’objectif de ces deux initiatives est la même : provoquer un coup de foudre planétaire pour la Terre. Pourquoi ?

Ce sentiment de partager et d’habiter la même planète a quelque chose de bouleversant qui devrait nous émerveiller 99% de notre temps. On a réussi à banaliser l’extraordinaire. Les vraies questions se dissolvent. Si j’ai travaillé tant d’années sur la révolution bleue et sur OneHome, c’est pour ramener les gens à l'essentiel. Le faire à travers des romans ou sans mots, avec le pouvoir des images et de la musique, participe à la même démarche : mettre la Terre sur un écrin, de l’ordre du plus grand que soi. Les astronautes appellent cela l’Overview Effect, cela exige de nous une certaine attitude.

Je vais reprendre ma casquette de mathématicien : une fois qu’un problème est déplié, il devient très complexe à résoudre. Ramener à l’essence un problème peut paraître plus abstrait mais permet parfois d’en avoir une lecture plus simple. Plus il y aura de personnes qui se poseront la question de l’impact de notre présence sur Terre de façon philosophique, plus la sobriété sera une attitude qui va de soi.

Quelle question nourrit vos réflexions et vos projets futurs ?

Aujourd’hui, la question qui m’occupe est de savoir comment cette idée peut devenir un mème. Je travaille par exemple sur un projet de film documentaire pour raconter les vingt ans de recherches qui ont permis la création des images OneHome, avec une obsession : qu’il crée du brouhaha.

Il faut changer l’histoire que l’humanité se raconte sur elle-même. L’humanité n’a pas d’identité car personne ne raconte son histoire, ne prend la parole pour elle. Nous devons faire collectif pour sortir de cette illusion d’être seuls sur Terre, créer ce sentiment de double appartenance à l’humanité et à la biosphère. C’est le renversement des sphères qui importe plus que la façon d’agir comme l’explique très bien Bruno Latour. Aujourd’hui, la technosphère écrase l'ethnosphère qui écrase la biosphère alors que ce devrait être l’inverse. Les mondes de l'art, de la littérature, du cinéma, du jeu vidéo, de la création doivent jouer un rôle dans la fondation d'un nouveau modèle de société basé sur la sobriété.

En savoir plus sur One Home :  www.onehome.org et www.sieclebleu.org

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