Annulation d’une marque devenue trop connue : comment son titulaire peut s’en prémunir ?
Lorsqu’une marque est devenue populaire au point de devenir la désignation commune du produit ou service qu’elle vise, est-ce un succès ou un échec pour son titulaire ?
Certains y voient la preuve d’une notoriété exceptionnelle, d’une reconnaissance telle d’un produit sur le marché, qu’il en est devenu la référence incontestable.
Cela peut être exact d’un point de vue marketing, mais d’un point de vue juridique, et notamment du droit des marques, les conséquences sont toutes autres.
La fonction essentielle d’une marque est de permettre de distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux de ses concurrents. Est-ce bien encore le cas lorsque tous les produits du même type sont spontanément désignés par les consommateurs sous le nom d’une marque, peu importe que les produits proviennent ou non de la marque en question ?
Le droit est clair sur la question.
L’article L.714-6 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose “Encourt la déchéance de ses droits le titulaire d’une marque devenue de son fait la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service”.
Dans une telle hypothèse, il sera considéré que la marque a dégénéré, qu’elle est donc tombée dans le langage commun et que son titulaire aura en conséquence perdu le droit monopolistique qu’il avait sur ce signe. Après tous les efforts déployés pour faire connaître la marque qui désigne son produit, celle-ci ne sera finalement plus à lui, du moins pas exclusivement.
Évidemment, cette sanction n’est pas automatique.
L’annulation de la marque intervient généralement lorsque le titulaire agit, pour empêcher un tiers d’utiliser sa marque, et qu’en réponse, le tiers en question engage une action autonome ou reconventionnelle en nullité de la marque au motif qu’elle aurait dégénéré du fait du titulaire, parce que ce dernier n’aurait pas suffisamment agi pour la défendre ou bien qu’il aurait lui-même agi positivement pour que sa marque se généralise (par exemple en l’utilisant comme un nom commun).
C’est ainsi que des marques connues ont été perdues par leurs titulaires.
Pour exemple, la Cour de cassation a confirmé, par une décision du 28 avril 2004, l’annulation de la marque PINA COLADA sur le fondement de la dégénérescence, en considérant que :
« Si la société Bardinet était intervenue dans certains cas pour s'opposer à l'utilisation du signe enregistré, elle était restée passive face à l'emploi généralisé de l'expression "pina colada" pour désigner un cocktail alcoolisé à base de jus de fruits, notamment dans des livres de recettes, sur un site Internet, et sur les cartes de bars ou d'entreprises de restauration exploitant de nombreux établissements, la cour d'appel, sans subordonner la déchéance à l'absence de poursuites systématiques de la part du propriétaire de la marque, a pu, appréciant souverainement son comportement au regard de l'emploi de ce signe, décider que la marque était devenue de son fait la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ».
De manière analogue, la marque VINTAGE, qui était enregistrée pour des vêtements, a été annulée par la Cour d’Appel de Paris, qui a considéré en date du 20 avril 2005 que :
« Le terme « VINTAGE » [est] amplement utilisé comme mot du langage courant soit à titre de qualificatif soit de nom commun, dans les secteurs d’activités de l’habillement, du prêt à porter, du jeanswear, du sportwear, dans la presse, est devenu pour la clientèle concernée l’appellation usuelle et inévitable d’un style d’articles vestimentaires d’inspiration ancienne ou « rétro » ».
Ainsi, lorsque les Tribunaux sont amenés à se prononcer sur l’annulation d’une marque sur le fondement de la dégénérescence, ils doivent apprécier :
- Si la marque est devenue la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ;
- Si cela est arrivé du fait du titulaire.
Dans ces conditions, lorsqu’une marque devient particulièrement connue sur un marché, au point d’être employée pour désigner les produits ou services qui sont exploités sous cette marque, son titulaire doit redoubler de vigilance et ne pas se satisfaire du succès de sa marque, devenue un terme du langage courant (du moins en public).
Pour ne pas perdre sa marque, le titulaire devra justifier agir suffisamment et de manière proportionnée aux atteintes. Envoyer des courriers de mise en demeure ne suffit pas, si des actions concrètes ne sont pas ensuite menées. Agir, signifie avoir une réelle action pro active, engager des oppositions, et même des actions judiciaires en contrefaçon.
Ces actions doivent se faire de manière soutenue, dans la vie des affaires, mais le titulaire de la marque doit également s’assurer que les journaux, magazines et dictionnaires ne référencent pas la marque de manière générique.
C’est ainsi que la marque CADDIE fait l’objet d’une surveillance assidue de son titulaire qui évite ainsi de se mettre en risque et de se rendre responsable d’une annulation de sa marque, pourtant tellement généralisée. C’est ainsi que le Tribunal de Grande Instance de Paris a considéré dans un jugement CADDIE que relevait de l’« obligation » du titulaire le fait de s’opposer à l’emploi de sa marque comme synonyme de chariot (TGI Paris, 3ème Ch., 29 octobre 1997).
La marque PEDALO n’a pas non plus été annulée sur le fondement de la dégénérescence notamment du fait du nombre « très important de procédures engagées pour la protection de la marque, le très grand nombre de mises au point et de mises en garde adressées à la presse, aux professionnels du secteur nautique ainsi qu’aux éditeurs de dictionnaires » (CA Aix-en-Provence, 2ème Ch. Civ., 9 janvier 2006)
Plus récemment, dans un arrêt PIERRADE, la Cour de cassation a considéré que le titulaire « fait preuve d’une vigilance réelle et suffisante pour éviter que sa marque ne devienne un terme usuel pour désigner dans le commerce des articles de cuisson », la marque a donc échappé à la dégénérescence (Cass. com., 18 mai 2010).
La dégénérescence est une véritable sanction pour les titulaires de marques qui doivent impérativement s’assurer que leur marque est constamment en mesure d’identifier les produits et/ou services proposés par leur entreprise et les différencier de ceux de leurs concurrents. Les titulaires avisés agissent, ce qui est notamment le cas de KARCHER ou MECANO, particulièrement actifs dans la défense de leurs droits.
Quoi de plus terrible, commercialement parlant, pour le titulaire originel d’une marque dégénérée que de voir tous ses concurrents librement autorisés à utiliser ce signe et ainsi bénéficier, sans engager aucune dépense, des efforts colossaux mis en place pour faire connaître la marque.
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