Méta, métavers, la fin de nos libertés

breton

Le génial Zuck, en lançant Meta (et sa plateforme baptisée Metaverse), a rendu visible ce qui existe depuis longtemps. Et parvient à nous faire croire à une créativité qui n’est pas la sienne. Il faut dire qu’à l’heure où la lanceuse d’alerte Frances Haugen écorne son image, il en a bien besoin et sa stratégie de diversion fonctionne à plein. Plutôt que de répondre sur les diverses accusations de manipulation et d’absence de sécurisation des données, il préfère accélérer une histoire qui n’est pas encore tout à fait écrite et dont il n’est pas à l’origine.

De l’origine des métavers

Car enfin l’univers des métavers ne lui appartient pas. On les trouve déjà sous la plume du post-cyberpunk spécialiste de l’uchronie, Neal Stephenson, dès 1992 (dans Snow Crash).  Où il définit alors ce qu’est un métavers et ses 4 règles de base :  c’est un méta-univers qui doit reposer sur une base technologique, avoir une finalité économique, être agi via un avatar interactif et disposer d’une communauté. Bien des films (Matrix, Ready Player One…) et des jeux (les Sims, Clash of Clans, Fortnite…) ont habitué/préparé nos imaginaires à ces métavers. Mais nous n’en étions jusqu’alors que spectateur.

Il faudra attendre 1997 et le lancement par Canal+ d’un premier monde virtuel français en ligne « Le deuxième monde » et surtout, Second Life, en 2003 (qui dispose d’un monnaie locale le Linden Dollar) pour que les métavers deviennent réalités. Deux expériences fondatrices qui ont pâti d’une faible immersivité et d’une bulle spéculative ayant découragé les puristes.

Le virtuel devient réalité

L’ère qui s’annonce est bien différente. D’abord, parce que le taux d’équipement et d’accès à internet à haut débit est désormais (en Europe et aux Etats-Unis) de près de 90%. Et que la pandémie COVID-19 a démocratisé les relations humaines virtuelles. Tandis que, dans le même temps les aventuriers de Second Life ont vieilli, ont essaimé, ont fait émerger de nouvelles générations de mondes immersifs (Minecraft, Fortnite…) et les crypto monnaies. Enfin, last but not least l’immersivité est devenue chose réelle via les casques de réalité virtuelle et a fait glisser le spectateur au rang d’acteur à part entière.

On peut ainsi plonger et vivre au sens propre dans la réalité virtuelle proposée.  Reste à faire converger dans ce nouveau monde les loisirs, l’e-commerce, les relations sociales, le travail…. Une révolution et une prison faites de micros et de capteurs patiemment construites par Facebook (2 milliards d’usagers) mais pas seulement. On y trouve aussi Ali Baba, Sony, Microsoft, Tencent, Nvidia…

D’une société de surveillance à une société de contrôle

Reste que les métavers posent de façon urgente la question de nos liens avec la réalité et suscite à juste titre peurs, angoisses et leurs cortèges de symptômes : addiction, perte du sommeil, dé-corrélation chronique avec la vraie vie, tendances à l’ochlophobie voire à devenir hikikomori (plus d’un million de jeunes Japonais vivraient ainsi complétement coupés du monde). 

Mais le pire est à venir : la domination du virtuel sur le réel signe l’émergence d’une société s’appuyant sur de véritables camisoles numériques ; une véritable architecture carcérale se dessine. On la croirait sortie tout droit du Panopticon du philosophe anglais Bentham (1748-1823), popularisé Michel Foucault dans Surveiller et punir (1975). Soit une tour en haut de laquelle se trouve les gardiens invisibles des prisonniers qui se trouvent, eux, au pied de la tour isolés dans des cellules. Une société de surveillance appelée selon Foucault à être remplacée.

Et de facto, nous sommes maintenant au-delà. Dans ce que Gilles Deleuze et Antonio Negri appellent une société de contrôle. Dans celle-ci, l’enfermement physique n’est plus requis, « il s’effectue non par enfermement mais par contrôle continu et communication instantanée » : le contrôle s’exerce hors les murs, il est partout. Via le langage numérique, fait de codes et de cryptages seuls capables de nous rendre libre. C’est pourquoi la conviction qu’il vaut mieux apprendre à coder qu’apprendre une langue étrangère est largement répandue dans la Silicon Valley. Les tenants des métavers et du code, pourront ainsi orienter, diriger, ordonner contrôler, cachés dans le « cloud ». Où nous, simples êtres humains en chair et en os, on laissera les traces de nos envies, de nos désirs, de nos dépendances : les fameuses données magiques, ces datas qui gouvernent le monde - virtuel et réel !

La fin de notre libre-arbitre

Amenés à vivre, travailler, jouer, aimer dans l’espace virtuel, le sujet-citoyen deviendra progressivement un objet contrôlé et orienté, qui consommera par nécessité un temps d’écran devenu sans cesse plus important. Comme le rappelle David Crête dans The Conversation, « Le propriétaire moyen d’un IPhone déverrouille son appareil 80 fois par jour, soit toutes les 12 minutes, 16 heures sur 24. La moindre notification nous fait réagir, telle la clochette de Pavlov. Nous en sommes arrivés à un auto-conditionnement technologique, qui a une source précise. Le docteur en neuroscience Sébastien Bohler explique que notre cerveau est au centre de notre comportement. Le striatum (partie du cerveau), est le siège de nos motivations, de nos désirs. Il libère la dopamine, l’hormone du plaisir. Parmi ces motivations, nous retrouvons la quête d’information et le statut social, qui peuvent être en partie rassasiés par le Web et les réseaux sociaux. Recevoir de l’attention, grâce aux « likes » et aux commentaires, ne rien manquer, être surinformés, alors que nos écrans regorgent d’une quantité pléthorique d’informations de toutes sortes. Nous en voulons toujours plus, et le striatum se charge d’en retirer du plaisir. »

Et la fin du monde d’hier

Inutile d’ajouter les effets négatifs sur la mémoire, sur l’apprentissage, sur le temps de cerveau disponible, sur la performance académique, sur l’amenuisement du sens critique qui peu à peu nous rendent potentiellement dépendant, esclave des métavers en devenir. Et nous sommes loin de pouvoir/savoir nous en défaire. A l’heure où l’IA, l’automatisation, la digitalisation, le télétravail, les revenus de base (bientôt universel) accélèrent ou apparaissent, nul doute que nombreux seront ceux qui préfèreront vivre dans le virtuel plutôt que dans le réel. Cette époque va très vite advenir. Facebook pense y parvenir en dix ans en investissant plusieurs dizaines de milliards et en créant plus de 10.000 emplois. Advenir à nos dépends et aux dépends de la planète. Le déploiement des métavers et l’expansion numérique qui en découle auront des impacts graves sur la biosphère. Nicholas G. Carr spécialiste de la technologie relève qu’un avatar consommera plus d’énergie qu’un Brésilien moyen !

À ce rythme, nul doute que les métavers, (une bombe à retardement selon Frances Haugen qui sait de quoi elle parle), sont le dernier pas vers la fin du monde présent. Reste à croire en celui qui va advenir. Peut-être !

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

À lire aussi

Filtrer par