Séniors : Grands oubliés de la publicité ou futures stars de l'alimentaire ?
Les séniors sont-ils les grands oubliés de la communication des marques alimentaires face à la vague de représentation des Millennials ? Et si les marques n’avaient tout simplement bien compris comment adresser leurs messages à ce type de profil de consommateurs ? Pour répondre à ces questions, Sopexa, agence internationale (présente dans 24 pays) qui accompagne les marques Food et Drink, qui estime que les séniors représenteront, d’ici 2050, 22% de la population mondiale, a mené l’enquête auprès de consommateurs allemands, français et japonais. Une présentation faite à la presse à Paris, menée par Claire Maurice, market intelligence manager chez Sopexa.
Qui sont les séniors ? Quel est leur rapport à l’alimentation et au digital ? Quelle est leur approche des médias et comment se perçoivent-ils dans les publicités alimentaires ? Pour mieux comprendre ce qui se joue et identifier les opportunités de communication envers cette tranche d’âge, Sopexa a décidé de mieux les connaître et de mieux percevoir leurs attentes envers les marques. Premier constat de l’étude, menée auprès d’un échantillon de 1558 personnes de plus de 65 ans (environ 500 par pays, à savoir la France, le Japon et l’Allemagne et avec la plateforme Toluna), les séniors ne se sentent pas toujours aussi âgés que la population et le pays dans lequel ils vivent, les considère !
Démographiquement parlant en effet, les séniors sont très présents dans les pays du panel de l’enquête. S’ils sont 13 millions en France (19%), ils sont 18 millions en Allemagne (22%) et 34 millions au Japon (27%). Un chiffre qui en 2020, sera colossal, puisque 1/3 de la population y sera alors là-bas sénior et que le gouvernement envisage d’établir l’âge de départ à la retraite à 72 ans contrairement au palier de la soixantaine en France… Quant à la présence mondiale de cette population, elle devrait d’ici 2050 atteindre 2 milliards ! De quoi attirer l’attention des marques qui commencent tout juste à rajeunir l’image de ces grands-parents, au sein de leurs campagnes publicitaires…
Papi, Mamie, vous êtes l’avenir de l’économie
Et si les « Silver » étaient l’avenir de l’économie ? Celle-ci en tout cas, constitue aujourd’hui un incontournable marché pour les marques alimentaires. En effet, si toutes les personnes de plus de 65 ans ne disposent pas d’un revenu élevé, elles constituent le segment qui consacre le budget le plus élevé en termes d’alimentation. Mais comment cela s’explique t‘-il ? Par le fait qu’ils ont un pouvoir d’achat en moyenne supérieur à celui des moins de 50 ans (même si les chiffres sont élevés pour les 18-25 ans) au sein de l’Union européenne, les dépenses de consommation de biens et services chez les plus de 50 ans totalisaient d’ailleurs en 2015, 3,7 billions d’euros ! Et devrait croître de 5% par an d’ici à 2025 ! Autre point important et idéal pour les marques : les séniors dépensent en moyenne 20% de leurs revenus dans le secteur « food » et n’aiment pas le changement (contre 18% pour les moins de 60 ans). Ils ont aussi des revenus plus élevés par foyer (36 000 euros pour les foyers de 50 ans et plus, contre 26 000 euros pour les foyers de moins de 50 ans). Ils sont ainsi plus propices à être fidèles aux marques qu’ils sélectionnent au quotidien.
Les séniors inspirent le retail et l’alimentaire
Second point mentionné par la méthodologie, ces personnes âgées représentent un moteur d’innovation pour l’industrie alimentaire, motivant alors les spécialistes à proposer de nouvelles solutions, aliments et packagings adaptés à leurs besoins et à leurs attentes du quotidien. Un terrain déjà conquis par le Japon, précurseur en la matière, qui propose dans ses grandes surfaces de l’« engay food », soit des produits aux textures faciles à mâcher, sinon des poudres qui solidifient les aliments. Tel est le cas des géants du commerce aussi, comme Asahi et autres traiteurs qui ont compris comment séduire cette tranche de la population, en lui donnant la possibilité de choisir des produits dédiés.
Enfin, il y a les géants du commerce de détail comme Aeon et 7-Eleven, qui eux, repesent le retail pour le rendre accessible aux consommateurs. Ouvertures matinale des magasins dès 7 heures, proposition de services dédiés aux séniors (bilans de santé, espaces pour exercices physiques, aires de repos avec dégustation de thé, massages, rayonnages dédiés, promotions avant 9 heures du matin, on ne compte plus le nombre d’initiatives à leur égard, à Tokyo et ailleurs dans le pays. Objectif au-delà de vendre ces produits : créer une vie sociale autour du magasin. Toutefois, les investissements marketing sénior ne représentent que 6 à 10% des investissements (au global). Une limite qui pousse les experts à repenser la définition même de « sénior », en réalité beaucoup plus segmentée qu’il n’y paraît. Selon le sociologue Serge Guérin, il y existerait trois types de générations sénior (en concordance également avec un certain style de vie).
Redéfinir les générations sénior pour mieux les comprendre
Avoir 65 ans et plus n’est pas toujours synonyme de vieil âge pour les séniors ! Un terme qui définit avant tout leur style de vie, avant leur réel tranche d’âge et qui se doit d’être en adéquation avec leurs choix de consommation de produits alimentaires. Alors que 56% des plus de 55 ans interrogées par Global Data dans 36 pays en 2016, déclaraient que, parmi des critères tels que le genre, la tranche d’âge, l’appartenance ethnique ou religieuse, ils étaient plus enclins à acheter des produits développés pour leur style de vie, d’autres en revanche, n’ont pas du tout ces critères pour priorité (réponse changeante en fonction du pays). Ainsi, selon le sociologue il faut différencier les baby-boomers ou « Boobos » (60-73 ans) alors individualistes, hédonistes et attachés à leur liberté, les « Traditionnels » attachés aux valeurs et au bien-être ainsi que les « Fragilisés », ayant alors plus de 80 ans, attachés à l’image du collectif ainsi qu’à un environnement sécurisé. Trois générations qui au-delà de leurs différences, présentent toutefois des points communs.
Les séniors aussi connectés que leurs enfants et petits enfants
En pleine forme ou fragilisés, l’étude décèle une grande tendance chez les séniors. Ils sont de plus en plus connectés avec 57% des plus de 55 ans qui ont un smartphone. Ouverts aux nouvelles expériences, ils sont aussi 66% des plus de 55 ans à apprécier de tester des produits différents de leur culture. Et selon Global Data 2016, 77 % à se sentir plus jeunes que leur âge. Aussi, la santé les préoccupe grandement et 35% des plus de 55 ans recherchent des produits adaptés, dans ce sens. Enfin, tous les séniors veulent être approchés par la société pour ce qu’ils sont et non catégorisés à une tranche d’âge. Et sont nombreux à avoir une bonne relation avec l’alimentation.
Séniors et FOOD, une grande histoire d’amour ?
En effet, pour 61% des interrogés (majorité de Français), s’alimenter reste un plaisir, (d’ailleurs le repas gastronomique est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco), contrairement aux Japonais qui à 86% considèrent que manger est un moyen de préserver sa santé. Un amour des repas et des moments de partage qui s’explique par un fort taux d’intérêt pour les apéritifs (50% des séniors s’y adonnent). Toutefois chez les Allemands, en recherche de praticité, la notion de plaisir est tout aussi ancrée (68%), notamment avec l’utilisation du micro-ondes pour les personnes vivant seules et n’éprouvant pas toujours plaisir à manger. Mais là encore il y a un contraste car ils consomment beaucoup de glaces... Ils sont, pour les 55 ans et plus responsables de 41,9% de la consommation de glaces en Allemagne ! (Global Data, 2018)
Y a t’-il maintenant plus d’hommes que de femmes en matière de gourmandise ? On aura pour cette réponse, 55% de répondants Français avec 62% d’hommes, contre 52% de femmes, plus soucieuses de la santé. En Allemagne, il s’opère cependant un basculement, une dualité, passé le cap des soixante-dix ans. Le « food plaisir » devient alors un « food santé » pour se préserver (75% de soixante-dix ans contre 61% de plus âgés encore). Une tendance qui s’explique par l’accès facile à l’information, notamment pour sélectionner les bons produits et les bons aliments, via les devices digitaux.
Allemands, Français, Japonais, qui sont les plus accrocs de la Food sur internet ?
Magazines, télévision, radio, sites internet, les moyens de s’informer ne manquent pas. Aussi, les séniors interrogés (globalité) sont 49% à privilégier Internet et les étiquettes de produits alimentaires pour s’informer sur le food. 61% des répondants y accordent en effet de l’importance pour y trouver les détails nutritionnels (entrée en vigueur du Nutriscore aussi). Autre source d’information, les cabinets médicaux pour 11% de sondés Français (14% de femmes), contre 5% Japon et en Allemagne. Et bien que 43% des plus de 65 ans soient inscrits sur les réseaux sociaux (surtout Facebook) l’enquête révèle que seuls 38% utilisent internet pour s’informer sur son alimentation/nutrition.
En Allemagne, à l’inverse, ils sont 50% à surfer sur internet plutôt que de s’informer via les étiquettes (45%). Un quart aussi, déclare ne pas chercher d’informations, tout court quant à l’alimentation ou à la nutrition (vs 19% en France et 10% au Japon). Les Japonais, eux, préférant s’informer via la télévision plutôt que par la radio (peu de stations dans le pays), à 60% et en regardant des reportages dédiés (54% à contre 31% en France et 37% en Allemagne).
Les marques ont donc, intérêt, pour toucher ces consommateurs sensibles ou exigeants pendant leurs courses, à « dynamiser leurs contenus en ligne », explique Alexander Mannweiler, directeur de Sopexa Allemagne. « Mais gardons en tête que cette cible est aussi moins individualiste que les Millenials et que de nombreux seniors font encore partie d’associations et de clubs d’activités sportives ou de loisirs. Traditionnellement, les seniors allemands aiment se retrouver dans un café ou une brasserie, et même s’ils diminuent en nombre, les lieux de rencontre et de sociabilité conservent un rôle important. Dans les zones rurales ou périurbaines en particulier, ils se sont déplacés vers les boulangeries des grandes surfaces et constituent des points de contacts qui restent intéressants à activer pour une marque qui saura enrichir le quotidien de sa cible de consommateurs en lui proposant des expériences sur le point de vente qui répondent à son désir de « croquer la vie », déclare t’-il dans un communiqué.
Ce que cherchent vraiment les séniors sur internet
Si les séniors sont connectés, l’utilisation d’internet reste pour eux consultative. 75% des répondants effectuent des recherches (aussi via les réseaux sociaux) en lien avec le food mais sont, globalement passifs en matière de posts de contenus. Ils sont aussi 40% de l’ensemble à s’inspirer de recettes (48%de femmes) et majoritaires à s’y prêter en Europe. Au Japon en revanche, la tendance est de consommer hors du domicile ou d’acheter via les plateformes en ligne (32% cherchent des restaurants, 28% font les courses en ligne), ce qui permet de développer fortement le e-commerce dans le pays. Quant aux Français, ils sont les plus rigoureux des interrogés, quant à la question de la composition des produits (28% contre 24% en Allemagne et 18% au Japon). Néanmoins, les Allemands sont des cooking-lovers, attachés aux origines des produits (par conséquent aux Länder) et un quart d’entre eux s’informe tout de même à ce sujet.
La publicité pas (encore) valorisante des séniors ?
En France, les seniors voient la représentation de leur tranche d’âge dans la publicité, comme avant tout centrée sur la notion de transmission et d’expérience (38% et 37%). Près d’un tiers des répondants français estiment également que ceux-ci sont représentés comme des personnes ayant des besoins spécifiques (versus 7% au Japon). 25% déclarent aussi qu’ils sont montrés comme peu autonomes (3% au Japon). Du côté des Allemands, ils sont 47%) les considérer comme ayant, là encore, des besoins spécifiques (régime, médicament, etc), contre 7% au Japon.
Ainsi, les Japonais ne se sentent pas aussi vieux, ni vus comme tels, au travers des campagnes publicitaires. Ils se voient au contraire comme des personnes d’expérience (dans les pubs) avec un taux de réponse de 74% pour les soixante-dix ans et plus et de 70% au global (3% seulement d’avis négatifs). Ont-ils un secret de jeunesse éternelle alors ?
Daniel Kwintner, directeur de clientèle de Sopexa Japon a la réponse : « Les jeunes seniors sont très actifs professionnellement et socialement, ne serait-ce qu’au sein de leur famille, où leur rôle auprès de leurs petits enfants est très valorisé. L’espérance de vie en bonne santé y est la plus élevée au monde. Les Japonais ont toujours pratiqué un exercice physique et prêté attention à leur régime alimentaire. Nous avons par exemple des agences de mannequins spécialisées dans les seniors qui projettent une image anti conformiste de cette tranche de la population. Je pense par exemple à une agence comme Senior Monsters dont le clip met justement en avant des seniors libres et décomplexés, un brin provocateur, qui se sentent bien dans leur peau ».
Il y a encore des insatisfaits
Si les Japonais sont globalement satisfaits de leur représentation (52% de taux de représentation et étant positive et 51% d’attractivité) et que l’ensemble des répondants (tous pays à 66%), pensent être plutôt bien représentés via ces campagnes de publicité, il persiste toutefois des inégalités. En effet 73% se trouvent souvent stéréotypés. Un sentiment fortement ressenti en France avec un taux de 80%. Aussi, certains ne se trouveraient tout simplement pas assez représentés (54%) et 58% déclarent que les publicités ne répondent pas aux attentes de ces personnes (65% des Français). D’autres encore estiment (53% que les publicités dans lesquelles figurent des séniors ne sont pas attrayantes (53%). Mais qui sont les profils insatisfaits ? Les européens vivant seuls (74% en France et 68% en Allemagne). Alors que conclure de toutes ces affirmations ? Force est de constater que la dimension plaisir et alimentaire est contrastée, notamment en fonction des différences culturelles qu’il existe entre les divers pays cités par l’étude.
Cependant, les marques l’ont compris pour faire du chiffre et recruter une nouvelle cible de consommateurs : l’heure est au changement (Tipiak, Intermarché, etc...) Avec tant de disparités nationales qui s’imposent à elles, il est évident qu'elles doivent trouver des réponses adaptées aux spécificités de chaque marché. Elles peuvent alors choisir de privilégier l’expérience client misant sur des points de vente pensés comme lieux d’échange, intégrer des rayons dédiés ou encore proposer des services spécifiques, comme le fait déjà le Japon.
Mais le défi est encore de taille pour ce secteur qui, visiblement n’a pas encore adopté un regard plus décomplexé par rapport à l’avancée en âge, de la population. Alors comment faire pour y parvenir ? Satisfaire ces séniors au fort pouvoir d’achat, les familles et valoriser leur image en allant au-delà des préjugés ?
Les grands-parents , futures stars de la pub, alors ?
Les séniors deviendront-ils un jour des stars des campagnes publicitaires alors ? Seulement si les annonceurs maîtrisent les codes des messages qu’il leurs transmettent. La méthodologie conseille en effet aux acteurs de l’alimentaire, de repenser leur discours. Cela en changeant la police de caractère, rendant les informations plus cohérentes dans la durée ou plus pratiques (prise en main), sinon en repensant le brand content ( pas de vocabulaire déstabilisant, meilleure stratégie de réseaux sociaux, etc) ou encore en représentant cette population de façon plus discrète ou en insérant, dans les messages une notion d’ « intergénérationnel ». Les séniors souhaitent en effet découvrir des publicités dans lesquels ils sont représentés de façon indirecte et non caricaturale (surtout dans les publicités à destination des séniors, justement). En clé de réussite donc, l’art de la subtilité des annonceurs !