Brand Finance France : Orange en tête
Bertrand Chovet, directeur général de Brand Finance France, décrypte les résultats de son étude sur les marques françaises les plus valorisées et les plus "fortes" cette année(*).
1) Une baisse de 11% de la valorisation des marques françaises cette année. La Covid explique-t-elle tout ?
Bertrand Chovet : Non la pandémie n’explique pas tout. Après avoir progressé de 13% en 2019, puis de 6% en 2020, la valeur totale des 150 marques françaises les plus valorisées est en baisse de 11%, soit une baisse de 44,5 milliards d'euros en valeur de marque. Cette décrue illustre tout autant l'impact Covid-19 qu'une perte de compétitivité des marques françaises sur les secteurs les plus touchés par la pandémie (aéronautique, hôtellerie) mais aussi sur la distribution. Comparativement aux Etats-Unis et à l'Allemagne, la baisse est significative puisque le total des actifs marques américains ou allemands a respectivement augmenté de 1,9% et baissé de 5%. L'habillement (incluant la mode et le luxe) est le plus gros contributeur au classement cette année (16%). Néanmoins, ce secteur a chuté de 12% sur un an, principalement du fait de la pandémie. Les secteurs suivants pour la France sont la distribution (10%) et la cosmétique (8%). Casino et Conforama ayant baissé en valeur de marque cette année. Au sein du classement, pour certaines entreprises dotées de marques fortes comme Sephora ou E.Leclerc, la marque a joué un rôle d'amortisseur et a réduit les risques économiques lors de la pandémie. Ces deux marques progressent respectivement de 2 et 8 places en un an. Néanmoins, sur de nombreux secteurs, cela n'a pas suffi et afin de gagner rapidement en compétitivité, ces acteurs vont devoir ré-investir sur leur actif marque pour profiter de la reprise. Il est alors crucial de bien comprendre la force de sa marque sur les trois dimensions Investissement/Image/Performance, notamment par rapport à ses concurrents directs ou sur des catégories adjacentes, pour piloter les choix en terme de (re)positionnement, de simplification de l’architecture de marque, d’allocation budgétaire et de choix d’investissement pour accompagner les transformations stratégiques.
2) Orange sur le haut du podium, après avoir cédé sa place pendant trois ans, est-ce une surprise pour vous ?
Bertrand Chovet : la résistance de la marque Orange démontre à quel point la connectivité numérique est vitale pour les individus et la société. Orange reprend le titre de marque française la plus valorisée pour la première fois depuis 2018. La marque gagne une place avec une valeur de marque de 16,25 milliards d'euros et une force de marque notée AA +. Malgré la pandémie, Orange a accéléré le déploiement de ses réseaux haut débit, notamment la 5G dans 5 pays. Sa capacité à offrir le meilleur de ses services lui a permis de stabiliser son chiffre d’affaires avec une contribution en croissance de la France, de l'Afrique et du Moyen-Orient. Sur un marché français bataillé, ou la guerre des Box fait rage, Orange se distingue avec une hausse considérable (+23,7%) de ses clients très haut débit. C'est le meilleur réseau mobile pour la dixième année consécutive avec une couverture de la population en 4G de 99%. En outre, initié depuis 2016 avec la philosophie 'Human Inside', c'est en décembre 2019 qu'Orange a révélé sa raison d'être comme "acteur de confiance qui donne à chacune et à chacun les clés d’un monde numérique responsable". La marque se lie ainsi à la société par une promesse, celle d’un monde plus inclusif et plus respectueux de son environnement grâce au formidable outil qu’est le numérique. Depuis, Orange a particulièrement travaillé son engagement vis-à-vis de la société en tant que contributeur à l'intérêt collectif comme à celui d'acteur économique dont la finalité est de créer de la valeur. Cela s'est illustré notamment sur sa démarche inclusive en faveur de l'égalité et l'équilibre de vie professionnelle/vie personnelle (campagne #LifeAtOrange) comme sur l'aide à la collecte pour la seconde vie des téléphones. Sa valeur de la marque est stable alors que la concurrence fait rage sur son marché clé. Cela démontre que la marque est un facteur majeur d'atténuation des risques. Elle sera aussi un réservoir de croissance sur de nouvelles géographies et activités, à l'avenir.
3) Comment expliquez-vous la performance d'Yves Rocher avec +63% ?
Bertrand Chovet : le secteur des cosmétiques connait des destins divers. Yves Rocher se démarque et voit sa marque progresser fortement en consolidant ses positions. Malgré la fermeture imposée des boutiques, la marque a profité de sa relation directe avec ses consommatrices, jugulant les améliorations globales et locales, notamment via le "mobile-first". Depuis trois ans et après avoir été élu site préféré de français par la Fevad en 2019, elle a réussi sa transformation digitale. Avec la pandémie, la marque a connu des croissance de 3 à 4 chiffres en e-commerce selon les régions. Elle a aussi privilégié les médias online, live stream et comptes Instagram inclus… La force de marque d’Yves Rocher progresse fortement au niveau global (+33%). Présente sur 30 marchés, sa familiarité est forte et avec un score de considération élevé (8,3) ce qui démontre la pertinence de la marque aujourd’hui. De part son modèle phygital, il est évident que la marque est très bien positionnée vs les attentes des consommateurs, avec un ancrage et des fondations fortes. Sa naturalité, sa simplicité historique - mais aussi son accessibilité pendant la crise - ont joué en sa faveur. Son engagement et son éco-système représentent aussi des gages de pérennité. Aussi nous notons que sa réputation progresse. Yves Rocher est donc la 52e marque française la plus valorisée avec une force de marque AA+, démontrant sa bonne santé et son potentiel de création de valeur à long terme.
4) Et la résilience de l'automobile ?
Bertrand Chovet : les générateurs de choix émotionnels sur les catégories automobile et mobilité sont là pour durer. Au-delà des challenges technologiques - électrification, conduite autonome, interface humaine…-, la montée en puissance des solutions de mobilité à guichet unique, le passage de la vente de voitures privées à la vente de voitures d'entreprise via la gestion de flotte multi-marques, la vente en ligne et la consolidation des réseaux de concessions ou les défis de l'après-vente remettent en question le stratégies de marque. A l’avenir elles devront être plus fortes, une stratégie de portefeuille ‘marque mère’ vs ‘maison de marques’. Renault progresse de 2 rangs et revient dans le Top10 avec une valeur de 8,41 milliards d'Euros. L'exercice 2020 a été fortement impacté avec une baisse de près de 20% des revenus entraînant une baisse de sa valeur de la marque de 15%. Malgré la baisse du score de force de marque, la marque a réussi à maintenir sa note AA+ grâce à une forte image de marque auprès de ses clients et des perspectives positives, suite à l'arrivée de Luca di Meo et le plan Renaulution visant à restaurer la compétitivité de l'entreprise. La marque Renault repart à l’offensive ouvrant des perspectives nouvelles. Peugeot se distingue aussi et gagne une place (39e) notamment du fait de la puissance de sa notoriété. Au sein du Groupe PSA, Citroën gagne 10 places et DS rejoint le classement à la 148e place. Peugeot conserve une notation de force de marque AAA avec un score de force de marque de 81, soulignant sa capacité à imposer un pricing power remarquable. Le groupe PSA ayant fusionné à 50-50 avec l’italo-américain FCA pour former Stellantis, ces performances offrent des opportunités intéressantes au sein du portefeuille de marques à l'avenir. Fort de la richesse de son portefeuille de marques destinées aux particuliers et aux professionnels, Stellantis peut offrir à ses clients actuels et futurs, des réponses à des attentes émotionnelles très distinctes couvrant le grand public, le premium, le van, le pick-up ou le luxe. Alors que les synergies d'achat et de fabrication seront réalisées au cours des 3 prochaines années, la profondeur du portefeuille Stellantis est un atout majeur pour créer un écosystème équilibrant les cultures et les styles de vie américain, italien, français, allemand et anglais de l'automobile que chaque marque détient spécifiquement. A l’avenir, l’optimisation des coûts, la maximisation des synergies seront à la pointe de la performance de l’entreprise notamment par gestion de chaque marque, par une approche basée sur la valeur, afin de coller aux attentes des clients locaux.
5) On est surpris par la faible représentation des marques alimentaires dans les deux Top 10 ?
Bertrand Chovet : pour qu’une marque soit hautement valorisée, il faut qu’elle soit forte. La marque est un actif long, résilient. Elle doit donc être investie, c’est ce que nous mesurons lors de l’analyse et le scoring de la force de marque puisque les investissements réalisés sur la marque contribuent à 25% du score de force de marque (les 50% et 25% restants reposant respectivement sur l’image de marque et sur la performance de l’activité). En dehors de la distribution alimentaire, les marques alimentaires ont toujours beaucoup segmenté leur offres, privilégiant une organisation du portefeuille de marque en ‘maison de marques’. Cette forte segmentation ne contribue pas à faire émerger des marques très valorisées, à l’opposé de Danone - qui gagne une place au 16e rang des marques françaises. Cela ne contribue pas à faire émerger les marques alimentaires en haut du classement Brand Finance France. On retrouve néanmoins Président (55e), Activia (98e), Bonduelle (117e), Lactel (130e), Panzani (141e) et Actimel (142e).Dans le contexte d’alimentation responsable, de digitalisation, de convergence de services, la question d’une marque mère forte se pose d’autant plus, ceci afin de relier les actes de l’entreprise (innovation, logistique et économique) vis- à-vis du sens (son engagement, sa responsabilité…), de l’expérience (produits, services, partenariats) et de la prise de parole (social, conversation, engagement, publicité). C’est un des enjeux des années à venir alors que vont se confronter, par exemple, le produire local et l’innovation alimentaire par la technologie. Là aussi, l’optimisation de la stratégie du portefeuille de marque, l’articulation des positionnements, l’allocation des budgets pour optimiser la contribution et les synergies nécessiteront d'opter pour un management de marque basé sur la valeur.
*Créé en 1996, Brand Finance est le premier cabinet de conseil en stratégie et valorisation de marques au monde, avec des bureaux dans plus de 20 pays. Indépendant Brand Finance a évalué des milliers de marques depuis plus de 20 ans afin d'aider les entreprises à mieux connecter les performances de l'activité avec le(s) actif(s) marque. Brand finance est à l'origine de l'établissement de la norme ISO10668 sur l'évaluation de marque et de la norme ISO 20671 sur la Force de Marque. Pour rappel, pour déterminer la valeur d’une marque, les équipes de Brand Finance prennent en compte la Force de Marque -investissement, image, performance-, le Taux de Redevance associé, appliqués aux Performances Financières actuelles et prévisionnelles, réalisées sous la marque.