“Il ne faut pas compter sur la réglementation pour nous protéger” - Julie Chapon (Yuka)

Julie Chapon, cofondatrice de Yuka.

Entretien avec Julie Chapon, cofondatrice de Yuka, sur la fonctionnalité "Interpeller la marque".

Lancée en 2017 en France, Yuka est un phénomène. Une réussite populaire qui rassemble 63 millions d’utilisateurs dans douze pays. Depuis le 19 novembre, l'appli s'est enrichie d'un bouton "Interpeller la marque" pour que les consommateurs puissent directement entrer en contact avec les marques utilisant des additifs à “risque élevé” dans le marché français et américain. #Balancetonadditif 

CB News : qu'est-ce qui a motivé le développement de cette nouvelle fonctionnalité "Interpeller la marque"  ?

Julie Chapon : depuis le lancement de Yuka, on a remarqué que de nombreuses marques ont fait des progrès en supprimant des substances controversées et en reformulant leurs produits pour les rendre de meilleure qualité. Mais, le rythme de changement reste trop lent. Il y a encore énormément de substances à risque en France comme aux États-Unis. L'objectif est d'accélérer les choses parce qu'on n'a pas envie d'attendre 30 ans, 50 ans, 100 ans pour que ces substances soient supprimées. On veut que cette fonctionnalité accélère le changement qui s'est déjà mis en marche, pour aller plus vite. 

CB News : pouvez-vous nous en dire davantage sur la réglementation  des additifs ?

Julie Chapon : la réglementation n'évolue pas ou trop lentement. Ces dix dernières années, il y a eu un seul additif de banni. Le dioxyde de titane. Alors qu'il y a plein d'autres, qui, aujourd'hui mériteraient d'être interdits. C'est le cas par exemple de l’aspartame, classé comme cancérogène possible par l’OMS, qui est utilisé. Malheureusement, il ne faut pas compter sur la réglementation pour nous protéger en tant que consommateurs. Le vrai moyen d'action est d'agir directement auprès des marques pour qu'elles suppriment ces substances sans attendre que la réglementation évolue.

Interpeller la marque avec Yuka.

CB News : comment peut-on identifier un additif dangereux ? 

Julie Chapon : les additifs ciblés par cette action sont à risque élevé. Ce sont ceux qui ont une pastille rouge sur l’app. Chez Yuka, il y a quatre niveaux de risque additifs : sans risque, risque faible, risque modéré et risque élevé. Chaque additif classé à risque élevé a été étudié par notre toxicologue, qui a passé en revue l'ensemble des études scientifiques et des avis d'instances officielles concernant ces substances. Dans l'application, il y a toutes les informations sur chacun avec leurs risques et les sources scientifiques sur lesquelles on se base. De plus, lorsqu’on envoie un mail à la marque, il y a aussi une synthèse des risques que notre toxicologue a identifié.

CB News : quand on scanne un produit...Que se passe-t-il ?

Julie Chapon : lorsque vous scannez un produit dans l'application et qu'il contient des additifs classés en rouge, un nouveau bouton "Interpeller la marque" apparaît. En cliquant dessus, vous accédez à une fiche proposant deux options : interpeller par email ou via X. Si vous choisissez l'email, votre application mail s'ouvre avec un message pré-rempli destiné au service client de la marque. Ce message détaille le produit scanné, les additifs qu’il contient, leurs dangers, et demande leur suppression. Vous n’avez plus qu’à cliquer sur "envoyer” ou à modifier le template proposé. Le même principe s’applique à X. Un hashtag spécifique, "#Balancetonadditif", accompagne ces publications déjà très utilisées depuis deux jours. Aux États-Unis, un hashtag dédié a également été mis en place.

CB News : pourquoi interpeller les marques via  X ou via leur adresse mail ? 

Julia Chapon : aujourd'hui, il y a deux moyens d'interpellation. Le “mail” de façon privée où on envoie un mail au service client. L'autre option est publique, c’est X. L'objectif était aussi de dénoncer publiquement les entreprises qui continuent d'utiliser ces additifs . On a choisi X parce que le projet était déjà lancé il y a plus d’un an, à une époque où le réseau social était encore le plus adapté pour ce type d’interactions. Les choses ont beaucoup évolué depuis ...et X est devenu un peu plus controversé. On a donc décidé de maintenir notre choix. Il faut reconnaître qu’il demeure un réseau extrêmement utilisé. On est déjà en train de travailler sur l'intégration d'autres canaux d'interpellation pour offrir un maximum de choix aux utilisateurs. Comme Threads ou BlueSky aux États-Unis, et peut-être Instagram ou LinkedIn. L'idée, c’est vraiment de permettre aux utilisateurs de s’exprimer sur le réseau avec lequel ils se sentent le plus à l’aise.

CB News : comment assurez-vous que les utilisateurs utilisent cette fonctionnalité de manière respectueuse et responsable ? 

Julie Chapon : lorsque les utilisateurs utilisent la fonctionnalité, ils s'engagent à respecter une charte d'utilisation disponible en ligne. Cette charte leur précise, par exemple, qu'ils ne doivent pas insulter les marques et qu'ils doivent rester respectueux. Il y a plusieurs règles à suivre. Ils acceptent d'en assumer la responsabilité. S'ils la respectent pas, c'est de leur responsabilité. 

CB News : pensez-vous que ce type d'action collective peut influencer et faire réagir les marques ?

Julie Chapon : complètement. Yuka a déjà contribué à influencer de nombreuses marques qui ont supprimé des additifs controversés grâce aux utilisateurs qui ont constaté leurs mauvaises notes et ont choisi de ne plus les acheter. Par exemple, Intermarché a reformulé 900 produits grâce à Yuka en supprimant 142 additifs controversés. Aujourd'hui, une marque n'a plus intérêt à aller contre courant, à vouloir utiliser des additifs comme ceux-là. En effet, l'objectif d'une marque, quelle qu'elle soit, est de gagner de l'argent. Si les consommateurs se tournent de plus en plus vers des produits plus sains, sans additifs, il est dans leur intérêt de s’adapter. Freiner ce changement serait donc contre-productif pour elle.

CB News : Yuka accompagne-t-elle les consommateurs dans d'autres initiatives pour mieux consommer ?

Julie Chapon : Oui ! On a aussi lancé en 2023 une nouvelle fonctionnalité qui permet d'avoir accès au classement des meilleurs produits par catégorie. Par exemple, si demain vous souhaitez acheter une crème solaire pour l'été, vous pourrez consulter un classement des meilleures crèmes solaires. On a aussi un blog sans publicité. Aujourd'hui, il compte trois millions de vues. Nous proposons des articles sur la nutrition, sur la cosmétique. Un secteur qu’on aborde de plus en plus. Par exemple, l'un de nos articles “best-seller” est celui sur le petit-déjeuner idéal. On propose également beaucoup de recettes simples et gratuites (250 recettes), car notre objectif est de dire qu'il est utile de scanner des produits en supermarché, notamment des produits transformés, mais que c'est encore mieux de cuisiner soi-même. 

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