Pascal Chevalier (Reworld Media) : 'Il faut investir dans les idées dès maintenant''
Avec l’annonce en septembre des négociations exclusives entre Mondadori et Reworld Media pour le rachat de la filiale française du groupe italien (Auto Plus, Pleine Vie, Top Santé, Biba, Grazia, Closer, Télé Star, Le Chasseur Français, Science et Vie...), les réactions hostiles se sont enchainées chez cette dernière. Pascal Chevalier, patron de Reworld Media (Marie France, Be, Le Journal de la Maison, Maison&Travaux, Gourmand, Auto Moto, Télé Magazine...), veut éteindre l’incendie et explique son projet à 3 ans. Entretien exclusif.
CB News : Où en est aujourd’hui le processus de rachat de Mondadori France par Reworld Media ?
Pascal Chevalier : Cette période de négociations exclusives donne actuellement lieu à une série d’audits. Mais ce qui est le plus important, c’est que nous nous sommes mis d’accord sur les points essentiels, dont le montant de la transaction qui est pour l’heure confidentielle. L’idéal serait d’arriver à la conclusion du deal début 2019. Mais je ne sais pas encore si nous serons dans ce délai-là.
CB News : Ce rachat inquiète beaucoup les collaborateurs de Mondadori en France. Le comprenez-vous ?
Pascal Chevalier : Je ne vous le cache pas, je n’avais pas vraiment prévu qu’il y ait tout ce battage médiatique. Je suis un peu jeune dans ce métier, je me suis fait piéger un peu comme dans un bizutage. Reworld Media et ma personne sont des cibles. J’ai vu des affiches de moi en boucher. Cela m’a blessé. L’image qui est renvoyée de moi, ce n’est pas moi… Que les gens ne soient pas contents, je le conçois, mais attaquer nommément… Nous présentons un projet. Des gens aiment ou n’aiment pas. Mais c’est partout pareil, c’est la vie. Je ne connais pas l’histoire du groupe et de ses relations avec les syndicats, ce n’est pas mon histoire. Lorsque l’on regarde le marché des médias, on pourrait se dire qu’il ne va pas très bien. Mais lorsque l’on y regarde de plus près, le marché va bien, en fait. Il faut changer des choses, des gens qui investissent pour le rénover. Malheureusement, trop de personnes voient ce marché comme un marché qui va mal. Le seul mot qu’elles entendent à longueur d’année c’est « restructurer ». Ça ne fait pas une stratégie.
CB News : Justement, quel est le projet ?
Pascal Chevalier : Je ne voulais pas communiquer tant que je n’avais pas vu les équipes de Mondadori France, par correction. Ce que j’ai fait la semaine dernière où j’ai pu m’exprimer auprès de ses équipes par petites sessions d’une vingtaine de personnes à chaque fois. Le mot restructuration est un mot qu’il faut utiliser mais… après. Je veux dire par là que l’on ne restructure pas une entreprise qui va bien, ce qui est le cas de Mondadori en France. Personne ne devrait la restructurer, mais la développer. L’actionnaire italien était dans cette logique de restructuration depuis plusieurs années. Les collaborateurs pourraient croire que nous allons tenir le même discours. Mais non. La réalité elle est là : Reworld Media est dix fois plus gros dans le digital que Mondadori France qui est lui-même six fois plus gros dans le print que Reworld Media. Ils ont des choses à nous apporter. C’est Mondadori France qui va « racheter » Reworld Media. Ils ont les marques fortes et les collaborateurs compétents. C’est quasiment un projet de fusion inversée.
CB News : Ce n’est pas le sentiment des collaborateurs de Mondadori France…
Pascal Chevalier : Le problème est que dans ce type d’entreprise, personne ne donne de vision. Quand seule est prise en compte la stratégie financière, il n’y a en fait pas de stratégie, je le répète. Si nous n’investissons pas, à l’échelle des 3 ans qui viennent, s’en est finit des relais de croissance. C’est vrai pour tout type d’entreprise. Chez Mondadori France, nous allons donc commencer par investir. On tirera des conclusions de ce qui va ou ne va pas dans 3 ans, pas avant. L’innovation ne se décrète pas d’un claquement de doigt, cela prend du temps. Dans ce laps de temps que nous nous donnons, nous aurons trouvé les solutions.
CB News : Concrètement ?
Pascal Chevalier : Il est évident aujourd’hui que les lecteurs sont plus sur leurs différents devices que sur le print. Nous devons être donc capables de créer des contenus de qualité mais en les diffusant là où nos lecteurs sont. Le circuit de diffusion a changé, c’est un fait. Les nouveaux projets à lancer doivent s’adresser à ces cibles. Je résumerais en disant : créer du contenu, c’est le mettre dans le bon format. Nous allons essayer des idées pour toutes les marques de Mondadori France. Pour chacune d’entre elles, comme chez Reworld Media, l’objectif est de 10 projets par an. Il faut créer ces contenus, il faut les définir ensemble. Les équipes de Mondadori France ont des idées, mais dans leur carton, puisque cela fait des années qu’on leur demande de travailler à l’aune de la baisse des coûts. Avec Reworld Media, il sera possible d’essayer ces idées, j’y veillerai. Il faut investir dans les idées dès maintenant.
CB News : En 2014, vous rachetez les titres Be, Pariscope, Maison & Travaux, Le Journal de la Maison, Campagne Décoration, Mon Jardin Ma Maison, Auto Moto et Union à Lagardère Active. Il vous est aujourd’hui reproché de réaliser ces titres sans journalistes et moins de ressources humaines, d’où l’inquiétude des collaborateurs de Mondadori France.
Pascal Chevalier : Lorsque j'ai créé Reworld Media avec Gautier Normand, il nous fallait des marques media fortes. En 2013, nous avons racheté Publications Grand Public (PGP), l'activité presse magazine d'Axel Springer en France, qui comprenait notamment Télé Magazine, Gourmand, Papilles et Vie Pratique Féminin. Cela représente aujourd’hui près de 50% de nos revenus print. Les contenus étaient déjà externalisés à 100%. Dans le cas de Lagardère Active, les marques étaient difficiles, déficitaires et peu ou pas digitales… Pariscope m’est vendu sans l’URL ce qui rendait l’exploitation compliquée, mais que j’ai tout de même maintenue deux ans et demi. Je ne me sens pas responsable de sa fermeture. Concernant le pôle Déco, je me retrouve avec de très belles équipes mais proches de la retraite. Les clauses de cession étaient intéressantes, 90 personnes sont donc parties. Nous n’avions plus grand monde pour sortir 4 magazines dans des temps très courts. Le process d’embauches est long, cela nous a contraint à externaliser ce pôle Déco. Cela étant, dire que nous ne travaillons pas avec des journalistes c’est faux. Qu’ils soient salariés de Reworld Media ou salariés d’entreprises qui fournissent des contenus de qualité, c’est très bien. Pourquoi changerais-je ce qui va ? Je sous-traite même la comptabilité de Reworld Media. Cela rend les décisions rapides et agiles. C’est ce que font les entreprises en croissance. La situation de Mondadori France n’est en rien identique. Le groupe gagne de l’argent et est bon dans le digital.
CB News : Combien y a-t-il de cartes de presse chez Reworld Media ?
Pascal Chevalier : Je ne sais pas répondre à cette question. Mais ce que je sais c’est que 100% des contenus, qu’ils émanent des collaborateurs de Reworld Media ou de l’extérieur, sont fait par des gens compétents. Notre souci est la bonne personne pour faire le bon contenu. En fonction de nos marques media, nous disposons de véritables experts. On ne change pas quelque chose qui marche.
CB News : Un plan de départs pour les collaborateurs de Mondadori France est-il prévu ?
Pascal Chevalier : Non, ce n’est pas prévu. Bien au contraire. Il y a des talents chez Mondadori France que nous souhaitons impliquer dans le groupe au global.
CB News : Il y aura une clause de cession chez Mondadori. L’avez-vous anticipé ?
Pascal Chevalier : Avec l’expérience Lagardère Active, oui. D'abord, l’enveloppe financière est normalement prévue. Ensuite, je sais que des gens expérimentés et passionnés qui font ces beaux titres sont susceptibles de partir pour en profiter. Parce que c’est intéressant financièrement pour beaucoup d’entre eux. Je le comprends. Mais cette fois, nous allons nous organiser en leur demandant de nous prévenir bien en amont que l’on ait le temps de les remplacer que ce soit en interne ou en faisait appel à l’externe. Je leur demanderai même de nous aider à trouver les collaborateurs possibles. Mais je suis réaliste, il est compliqué d’embaucher dans tous les profils.
CB News : Quel manager serez-vous ?
Pascal Chevalier : Mon bureau est quoi qu’il en soit toujours ouvert. Mais dès le 1er jour, il sera chez Mondadori France. Je souhaite y transmettre mon énergie et conserver l’esprit start-up de Reworld Media.
CB News : Les deux groupes seront-ils à termes dans de mêmes locaux ?
Pascal Chevalier : Il faut. On doit. Nous sommes 550 chez Reworld Media, Mondadori a 700 collaborateurs environ. Mais nous sommes là dans une logique de baux. Nous sommes à Boulogne-Billancourt tandis que Mondadori France devrait déménager prochainement à Bagneux. A termes, nous devrons nous regrouper et nous ferons ce qu’il faut pour cela.
CB News : Votre activité Media, outre celle dédiée à la Performance qui enregistre un CA de 120 M€, affiche un CA global de 65 M€ qui se partage à 22M€ dans le digital et 43M€ dans le print. N’y a-t-il pas un paradoxe à voir le print plus rémunérateur pour une entreprise comme la vôtre ?
Pascal Chevalier : Je me considère à la tête d’un groupe media. Ce que je défends, c’est le contenu. Nous sommes passé d’un monde mono-diffuseur à multi-diffuseur. Et mon plus gros diffuseur c’est Presstalis-MLP. Je suis confiant dans l’avenir. Ma partie presse devrait être dans une tendance de baissière à stable pendant que ma partie web va progresser. Je veux créer le plus souvent possible un contact avec mon lecteur, c’est la politique de Reworld Media. Je me suis juste adapté aux formats sur lesquels il est présent.
CB News : Avec ce rachat, Reworld Media va se hisser sur le devant de la scène du marché des médias, en devenant incontournable. Vous impliquerez-vous dans les instances professionnelles où vous êtes aujourd’hui quasiment absent ?
Pascal Chevalier : Vous avez raison. Nous avons jusqu’alors été très discret. Il faut être beaucoup plus présent dans les organisations professionnelles. Je n’en ai pas encore eu trop le temps, mais il faut que cela change, je dois être visible pour les gens de la profession. Il faut être impliqué dans la distribution par exemple, dans les échanges institutionnels et règlementaires… J’ai un avis et maintenant un vrai poids pour le faire connaitre.
CB News : Qu’avez-vous envie de dire aux collaborateurs de Mondadori France ?
Pascal Chevalier : Je ne suis pas un financier, je suis un entrepreneur avec toute l’énergie nécessaire pour des projets à long terme. Ce qui m’intéresse c’est de créer un groupe media avec une vision et une stratégie. Les marques médias existaient avant nous et continueront d’exister bien après nous. Je veux, avec eux, contribuer à la transformation de ce secteur. Je suis prêt au dialogue. J’aime l’échange et la contradiction. J’ai donc envie de leur dire : parlons-nous.